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modes ; mais cette foule lui pesait trop : il revint à son antre de la Conciergerie. Les fâcheux l’attendaient. Le fils d’un conseiller était là pour l’épier, tirer finement de lui si la Brinvilliers accusait. Il avait épousé la sœur de Penautier, et il était inquiet de son beau-frère. Le concierge eut pitié du docteur ainsi pourchassé, et lui ouvrit un petit cabinet, lui promettant qu’il y serait tranquille. Il y était à peine qu’une belle dame entra, lui parla poliment, le fit parler sur ce que disait la Brinvilliers. Il sut plus tard que c’était une Mme du Refuge, envoyée là par la comtesse de Soissons (Olympe Mancini). La comtesse elle-même lui avait donné rendez-vous, et elle allait venir. De mauvais bruits couraient sur cette Olympe. La mort assez étrange de son mari l’avait brusquement délivrée, rendue à la vie d’aventures, de caprice, dont vivaient ses sœurs, les illustres coureuses, nièces errantes de Mazarin.

Pirot eut, coup sur coup, je ne sais combien de visites. On entrait sous tous les prétextes. C’était l’aumônier de la Conciergerie ; c’était un homme de Mme de Lamoignon, qui apportait une médaille de saint Antoine avec indulgence pour une mourante ; c’était le vicaire de Saint-Barthélémy, la paroisse devant le Palais. Le substitut du procureur du roi, qui avait le soin de la prison, vint aussi, et, le voyant si triste, lui dit pour le calmer qu’elle n’aurait pas la question. Il sut qu’on le trompait ; mais en avouant qu’elle l’avait eue, on lui dit (ce qui était vrai) qu’elle n’en était pas affaiblie. Enfin on lui permit d’entrer, et il la trouva assise près de la cheminée. Ses bras étaient rougis et marqués par les cordes. Elle avait plus souffert d’être liée, serrée des bras, des jambes, que de la torture même. Nul doute qu’on ne la lui eût administrée avec modération. Elle était fort émue, fort rouge ; mais elle pouvait marcher, et elle demandait à manger. On lui servit deux œufs. Puis, sans être soutenue, ayant Pirot à sa gauche, le bourreau à sa droite, elle descendit à la chapelle. Comme des prêtres allaient et venaient, Pirot et elle entrèrent dans la sacristie et en fermèrent la porte, que garda le bourreau, resté dehors. Elle demanda un peu de vin, en but par gouttes, « autant chaque fois, dit Pirot, qu’en aurait bu une mouche. Du reste, ajoute-t-il, c’est bien à tort qu’on lui a reproché de boire. » Le concierge, qui avait apporté le vin, lui donna aussi une épingle qu’elle demandait pour rattacher son fichu qui s’ouvrait. Il ne se retira qu’après lui avoir baisé les mains à genoux.

Une chose fort curieuse et qui prouve les effets immoraux de la question, c’est qu’elle y avait dit nombre de mensonges. Pirot, resté seul avec elle, trouva une personne tout autre que celle du matin. Elle était, pour ainsi parler, tendue, séchée, altière, l’œil dur et étincelant. Elle n’entrait plus dans les bonnes pensées, n’était plus résignée. Cependant, en présence de cet homme affligé, elle se détendit