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que le gonfalonier refusa de la recevoir ; mais il semble que depuis ce moment Léonard ne pensa plus qu’à quitter sa patrie, où, on doit en convenir, il n’avait jamais été particulièrement apprécié, et il n’y revint que pour très peu de temps, en 1507 et en 1511, pour un procès qu’il soutenait contre ses frères à propos de l’héritage de son oncle paternel, et en 1514 en se rendant à Rome avec Julien de Médicis pour le sacre de Léon X. En revenant à Milan, Léonard retrouva ce qui lui était le plus cher au monde, la tranquillité et ses amis. La Lombardie, déchirée par la guerre et par les factions, renaissait sous l’administration juste et sage du maréchal de Chaumont et de Jean-Jacques Trivulce. Melzi reçut Léonard à sa villa de Vaprio, et c’est alors qu’ils peignirent dans une amicale collaboration cette gigantesque madone dont la tête n’a pas moins de six palmes, à moitié détruite aujourd’hui par le temps et par les injures des soldats, mais dont les restes ont encore tant de majesté. Il avait de nouveau ses élèves autour de lui, et le premier argent qu’il toucha, il le partagea, dit-on, avec Salai ou Salaino, comme il l’appelait familièrement, qui voulait doter sa sœur. Rappelé à Milan principalement pour achever le canal de la Martesana, il pouvait se livrer sans trouble, sous la protection éclairée et amicale de Charles d’Amboise, à ses goûts scientifiques et à la poursuite de ses chimères. En 1508, il écrivait son travail sur le canal de la Martesana, dans lequel il étudiait les moyens de diminuer les pertes qui résulteraient pour le Sodi-Giano des eaux que l’on enlèverait à l’irrigation des terres de culture et des prés en faveur de la navigation. L’année suivante, il terminait le grand réservoir et les écluses du canal de San-Cristoforo, et Louis XII le récompensait de ce travail en lui concédant en toute propriété une prise d’eau de douze pouces sur ce canal.

Je ne pourrais donner un aperçu, même très incomplet, des travaux scientifiques de Léonard sans dépasser les limites que je dois m’imposer. Il a clairement indiqué ou soupçonné la plupart des découvertes modernes. On peut conclure de plusieurs passages de ses manuscrits qu’il connaissait avant Copernic le mouvement de la terre. Ses observations sur la circulation du sang, sur la capillarité, sur l’aimant, la diffraction, le scintillement des étoiles, la lumière cendrée de la lune, sur le flux et le reflux ; ses études de physiologie botanique, surtout de géologie, dans lesquelles il établit trois siècles à l’avance et d’une manière très précise les bases d’une science que l’on croit toute récente, le mettent au rang des naturalistes les plus distingués de l’époque moderne. Il découvrit la chambre obscure et l’hygromètre. Ses connaissances en mathématiques pures étaient très étendues, mais c’est de les appliquer à l’industrie qu’il s’est surtout préoccupé. Il appelait la mécanique « le paradis des sciences