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des irrégularités qu’ils attribuaient à la faible portée de leur vue, à un mouvement d’épaule involontaire, à mille causes enfin dépendantes d’eux-mêmes. Ils résolurent d’annuler l’influence du tireur, soit en fixant les carabines à des corps tout à fait inébranlables, soit en les attachant à des pendules qui laissaient au contraire le mouvement de recul complètement libre. Le résultat de ces expériences confondit leurs prévisions. À force de tirer et d’essayer des armes, ils avaient atteint une telle justesse de coup d’œil, une telle sûreté de main, que leur tir était souvent supérieur à celui des carabines placées en apparence dans des conditions beaucoup meilleures.

Il fallait bien reconnaître cependant que l’on ne possédait pas encore la connaissance de toutes les causes perturbatrices, et il fut constaté en particulier que les balles portaient de préférence à gauche, c’est-à-dire du côté opposé au sens de la rotation imprimée par ses rayures. Ne se laissant pas rebuter par des difficultés sans cesse renaissantes, secrètement flattés peut-être de la preuve qu’ils venaient d’acquérir de leur habileté, les officiers de Vincennes se remirent à l’œuvre, et pour se rendre un compte exact de toutes les particularités du mouvement des projectiles, ils construisirent des appareils destinés à mettre en lumière la forme de la trajectoire et la position de la balle à divers momens de sa course. Le résultat de cette enquête fut que tandis que la trajectoire se courbait vers le sol, l’axe de la balle, restant à peu près parallèle à sa direction première, avait au bout de quelque temps une inclinaison sensible, la pointe en haut, sur la ligne qu’elle parcourait. Ce fut un trait de lumière : la théorie se trouvait de tous points confirmée, elle indiquait à la fois le mal et les moyens d’y remédier. Puisque, par suite de la conservation du mouvement de rotation, le projectile ne se trouvait plus symétriquement placé par rapport à la trajectoire, il devait éprouver dans l’air des résistances inégales, et son axe se relevant, il devait, comme dans l’exemple déjà cité, se diriger à gauche. Cette irrégularité, très régulière dans sa marche, a reçu le nom de dérivation. Pour la combattre, il suffisait de maintenir l’axe de la balle dans la direction de la trajectoire, et afin d’y parvenir, M. Tamisier proposa de tracer à la partie postérieure de la balle cylindro-ogivale autant de rainures circulaires que l’espace le permettait. Dès que l’axe vient à s’incliner sur la trajectoire, les côtés de ces rainures reçoivent le choc de l’air, et il en résulte une réaction assez intense pour redresser la balle, pour en maintenir toujours la rotation perpendiculaire à la trajectoire. Les balles autrichiennes, auxquelles cette disposition a été adaptée, se font remarquer par une forme spéciale ; il ne s’y trouve que deux rainures, mais si profondes qu’elles paraissent presque tronçonner la balle.