Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/831

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous attendiez à un refus de ma part. Vous n’êtes qu’un égoïste et un mauvais cœur, et vous ne méritez guère que je vous pardonne. Restez, je vous dis, ou alors ce sera fini pour toujours entre nous.

Sept-Épées, qui, de son lit, entendait la querelle, ne put s’empêcher de rire de l’indignation de son parrain, qui reprochait une indiscrétion tout en se plaignant d’une discrétion trop grande. Ce n’était pas le moyen de s’entendre, car Audebert, avec beaucoup plus d’esprit que son camarade, n’avait pas toujours le raisonnement beaucoup plus juste. Ces deux vieux faillirent s’arracher le peu de cheveux qui leur restaient, parce que l’un demandait une poignée de main que l’autre ne voulait pas accorder avant qu’on ne lui eût demandé sa bourse.

— Je sais ce que vous pensez et ce que vous débitez sur mon compte ! disait le vieux forgeron ; vous me faites passer pour un vieux cancre qui enfouit tous ses écus, et vous avez voulu subir la honte de vous laisser exproprier, quand vous saviez fort bien que je vous aurais crédité, si vous m’eussiez fait l’honneur d’une simple visite ! Mais monsieur est fier : il s’est cru plus savant que tout le monde et il a méprisé ses anciens, car je suis votre ancien, monsieur ! J’ai quatre ans de plus que vous, et tout bête et ignare batteur de fer que je suis, vous me devez le respect. C’était à vous de venir à moi, et non pas à moi d’aller à vous ! Enfin, puisque vous voilà, il faut bien avoir pitié de votre sottise ; voilà de l’argent, monsieur, en voilà plein un tiroir. Oui, les voilà, les vieux écus de l’avare imbécile ! Prenez ce qu’il vous faut et n’ayez pas le malheur de me remercier : puisque vous n’êtes venu à moi que le jour où vous n’attendiez plus rien des autres, je ne veux pas de vos belles paroles ! Je ne veux plus de votre amitié, il y a longtemps que j’ai fini d’y croire !

En parlant ainsi, le vieillard, aussi exalté dans son orgueil d’économie que l’autre l’était dans son orgueil de prodigalité, se promenait à demi vêtu par la chambre, et secouait son tiroir plein d’écus, qu’il jeta et répandit sur le plancher en voyant qu’Audebert, offensé de cette manière de les lui offrir, refusait d’un air hautain l’aumône de la fraternité courroucée.



VI.


Ce ne fut pas sans peine que Sept-Épées parvint à calmer les deux vieillards et à les réconcilier. Il avait été convenu entre Audebert et lui que l’on tairait la tentative de suicide. Ce fait eût révolté l’âme religieuse et austère du forgeron. Audebert le sentait et commençait à rougir de son découragement. Sept-Épées expliqua