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et suivit à la Sapience les leçons d’un professeur alors célèbre, nommé Cosimo Fideli. Il passait les jours et les nuits sur les livres, et en assez peu de temps il conquit le grade de docteur in utroque jure[1].


II

Mais Mazarin n’était pas fait pour être un homme d’école, et il étudiait bien moins par goût que pour complaire au connétable son protecteur. Le voilà donc à Rome, à vingt ans, sans autre ressource que son esprit et sans aucune vocation bien déterminée. Le sort, qui souvent choisit mieux que nous, décida de sa carrière. Le pape envoyait une petite armée en Lombardie afin d’empêcher, de concert avec la France et Venise, que l’Espagne, déjà maîtresse du Milanais, ne s’emparât de la Valteline. Le prince de Palestrine, de la maison Colonna, levait un régiment qui devait faire partie des troupes pontificales. Mazarin était jeune, plein d’ardeur et de courage ; de tout temps il avait montré plus d’inclination pour le métier des armes que pour celui de la jurisprudence et de la littérature[2]. Après avoir accompagné l’abbé Colonna en Espagne, il suivit à l’armée un autre Colonna qui lui donna une compagnie dans son régiment, et c’est ainsi que notre jeune docteur en droit canon et en droit civil se trouva transformé en capitaine d’infanterie.

Le nouveau capitaine n’avait aucune expérience de la guerre ; mais là comme ailleurs il montra l’intelligence dont il était doué, et il se distingua surtout par l’ordre et la discipline qu’il établit dans sa compagnie. On l’envoya tour à tour en garnison à Lorette et à Ancône. Il ne se contenta pas de remplir parfaitement son emploi : il se fit aimer et considérer de ses supérieurs par ses manières et une tenue de gentilhomme que son talent et son bonheur au jeu lui permettaient de soutenir. Bientôt l’armée pontificale s’avança vers Milan ; elle était commandée par Torquato Conti, général estimé qu’accompagnait en qualité de commissaire apostolique François Sacchetti, frère du cardinal de ce nom. On avait donné à Sacchetti pour le seconder un sous-commissaire d’assez peu de capacité. Mazarin, toujours appliqué et habile à s’insinuer auprès des grands, s’était servi de la protection du prince de Palestrine pour s’introduire chez le haut-commissaire. Celui-ci remarqua l’intelligence et

  1. C’est à cette époque que le mémoire anonyme place le doctorat de Mazarin ; Benedetti, suivi par Priorato, le met un peu plus tard. Cette différence importe peu.
  2. Le mémoire anonyme, dans la bonne copie : « Avendo in ogni tempo mostrato più inclinazione all’armi che alle lettere, lo diede a vedere mentre facendosi spedizioni per la Valtelina si fece capitano, etc. »