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appuyé aux montagnes de la Transylvanie, a juré de garder jusqu’au bout cette forteresse naturelle, le seul théâtre où puisse se prolonger la guerre. Un jour, vers la fin de juillet, il apprend qu’un corps russe, arrivant par la Moldavie, menace de le prendre en flanc ; il se jette brusquement sur l’ennemi, le bat, le disperse ; puis, rappelé tout à coup par un danger plus grand, il trouve en face de lui deux divisions de l’armée du maréchal Paskiévitch, l’une de dix-huit mille hommes arrêtés par quatre mille Hongrois à Marosvàsàrhély, l’autre de vingt mille hommes sous le commandement du général Luders. Il n’y avait pas de temps à perdre pour empêcher la jonction de ces deux corps. Bem se porte vers Segesvar avec trois régimens de honveds, quelques escadrons de hussards et douze pièces d’artillerie. C’était une de ces troupes improvisées qu’il faisait sortir de terre à force d’activité et d’enthousiasme. Il avait à lutter ici contre un ennemi bien supérieur en nombre, mais il avait pris une position qui, empêchant les Russes de se déployer, favorisait l’impétueux élan des Hongrois. La canonnade commença vers dix heures du matin ; on se battit jusqu’à sept heures du soir. Dès le début de l’action, le général russe Séniatin, aide-de-camp du tsar et chef de l’état-major, tomba frappé d’un coup mortel. Pendant longtemps, une poignée de Hongrois servis par une artillerie bien dirigée tint en échec les vingt mille Russes de Lüders. Des deux côtés, l’acharnement était extrême. Les Hongrois défendaient leur indépendance, et, affaiblis déjà par maintes pertes, ils se jetaient sur les étrangers avec la rage du désespoir. Les Russes étaient impatiens de mettre fin à une guerre faite sur un territoire hostile, où chaque paysan était un ennemi, où tout renseignement était un piège. Enfin le nombre l’emporta. Pressé de tous côtés par les Cosaques, le général Bem, après une lutte héroïque, fut percé de coups de lance et laissé pour mort dans un marais. Ce fut le signal de la déroute. Quelques-uns des officiers de son escorte cherchèrent un refuge dans les montagnes voisines ; mais à peine échappés à la cavalerie moscovite, un sort terrible les attendait. On sait l’histoire des compagnons de Charlemagne, écrasés dans les gorges des Pyrénées par le duc Lope et ses Vascons. Il y a sur les montagnes qui séparent la Transylvanie de la Valachie des peuplades plus sauvages encore que les Vascons du duc Lope. Du haut des Carpathes, les brigands firent rouler des quartiers de rochers sur les vaincus. Plus d’un brave qui eût mérité de tomber sur le champ de bataille périt obscurément au fond des ravins.

Parmi les officiers hongrois qui s’engagèrent dans les défilés de la Transylvanie, il y avait un jeune homme de vingt-six ans, attaché à l’état-major du général Bem. On l’avait vu, pendant la bataille,