Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 26.djvu/940

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrive à OEdenburg, et, au lieu de se diriger vers la demeure de ses parens qui le recommanderont à ses maîtres, il court à la caserne et s’engage dans un régiment de hussards. Il servit deux ans, deux ans de souffrances et d’ennuis de toute espèce ; son caractère turbulent lui suscita plus d’une méchante affaire, et sans les consolations de la poésie ces deux années lui eussent paru un siècle. Il chantait déjà toutes les impressions de son cœur ; maintes pièces, imprimées dans ses œuvres et devenues populaires, ont été composées par lui pendant ce premier apprentissage de la vie de soldat, et charbonnées d’une main impatiente sur les murailles des corps de garde.

Petoefi n’avait que dix-huit ans lorsqu’il abandonna la carrière des armes. Plus tard, quand la Hongrie se battra pour son indépendance, il saura bien retrouver une épée ; en attendant ces grands jours, que ferait-il dans une garnison ? Exempté du service pour cause de santé, il va mener une existence inquiète, vagabonde, une vie de déceptions supportées joyeusement, qui ne sera pas inutile à l’éducation complète de son esprit. Le voici d’abord étudiant, puis bientôt comédien. Il réalise enfin le rêve de sa jeunesse et s’en va de ville en ville avec une bande d’artistes nomades, jouant les œuvres de Shakspeare traduites en hongrois ou les essais dramatiques de Charles Kisfaludy. D’après le témoignage de ses compagnons et de tous ceux qui l’ont entendu, c’était un acteur des plus médiocres. Pendant toute l’année 1842, il parcourut ainsi une grande partie de la Hongrie sans faire le moindre progrès dans cet art dont il était affolé. En même temps, il écrivait des vers et les publiait dans les recueils littéraires. Il commençait à vivre de sa plume ; des écrivains, journalistes ou romanciers, lui tendaient une main amie et l’attiraient à eux. Un littérateur assez distingué, M. Ignace Nagy, qui faisait paraître une collection de romans traduits de l’étranger, chargea Petoefi de lui traduire un roman anglais, Robin Hood, de M. James, et une nouvelle française, la Femme de quarante ans, de M. Charles de Bernard. Il avait employé à ces travaux les premiers mois de l’année 1843, quand il fut pris d’un irrésistible désir de remonter sur la scène. Il quitte ses amis de Pesth et va jouer sur le théâtre de Debreczin un rôle très secondaire du Marchand de Venise. On le siffle, que lui importe ? il est persuadé que sa vocation est là et il s’y obstine avec un entêtement passionné. En vain ses camarades du théâtre de Debreczin refusent-ils de l’enrôler avec eux ; tous ces avertissemens sont inutiles. Il rassemble quelques-uns de ses compagnons qui n’ont pas mieux réussi devant le public, et, protestant ainsi contre les spectateurs, il forme une petite troupe de comédiens ambulans qui ne lui disputeront pas les premiers rôles. Quelques mois après, il revenait à Debreczin malade, misérable et plus déguenillé que le dernier des bohémiens.