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sourire. L’érudition de nos jours a retrouvé ces poèmes du moyen âge où le trouvère, pour exprimer les instincts aventureux de son temps et de son pays, jetait pêle-mêle maintes choses extraordinaires : expéditions fabuleuses, voyages rapides du nord au sud, de l’ouest à l’est, royaumes conquis d’un coup d’estoc et de taille, merveilleuses prouesses accomplies en courant. Le Héros János est une de ces chansons de gestes où éclatent naïvement, comme chez nos vieux trouvères, et toutefois avec un sentiment très moderne, les désirs secrets de l’inspiration hongroise.

Un jeune paysan, le candide et amoureux János, garde les troupeaux de son maître sur le penchant de la montagne ; non loin de là, Iluska la blonde, à genoux au bord du ruisseau, lave de la toile dans l’eau courante. János et Iluska se sont rencontrés en ce lieu plus d’une fois, et le plaisir que trouve János à regarder les blonds cheveux d’Iluska, Iluska le ressent aussi à écouter la voix émue de János. Que devient le travail pendant ces causeries sans fin ? La fermière est impitoyable ; la jeune fille aura bientôt à rendre compte de l’ouvrage oublié et des instans perdus. C’est bien pis pour János : le loup a mangé ses moutons, et le voilà chassé par son maître. Dès que la nuit est tombée, János retourne au village : il va frapper doucement sous la fenêtre d’Iluska, il prend sa flûte et joue sa mélodie la plus triste, une mélodie si triste, si navrante que les astres de la nuit en ont pleuré. Toutes ces gouttes d’eau qui brillaient sur les buissons du chemin, ce n’était pas la rosée, dit le poète, c’étaient les larmes des étoiles. Iluska dormait ; aux accens plaintifs de la flûte bien connue, elle se lève et aperçoit par la fenêtre la pâle figure de son amant. « Qu’est-il arrivé, János ? Pourquoi es-tu si pâle ? » János lui conte son malheur, et il ajoute : « Iluska, il faut nous quitter ; je vais courir le monde. Ne te marie pas, ma chère Iluska, reste-moi fidèle, je reviendrai avec un trésor. — Hélas ! dit la jeune fille, puisqu’il le faut, séparons-nous. Que Dieu te conduise, ami, et pense à moi, qui t’attendrai toujours ! » Il part, les yeux pleins de larmes et plus désolé qu’on ne pourrait le dire ; il va, il va sans savoir où, il marche toute la nuit, et il trouve sa cape de laine bien pesante sur ses épaules. Il ne se doute pas, le pauvre János, que c’est son cœur, son cœur gonflé de tristesse, qui lui pèse si lourdement.


« Quand le soleil se leva et renvoya la lune en son domaine, János aperçut la Ptiszta tout autour de lui comme une mer. Du levant à l’occident s’étendait devant ses yeux la lande uniforme et sans fin.

« Pas une plante, pas un arbre, pas un buisson ne s’offrait à la vue. Sur le gazon, à fleur de terre, étincelaient des gouttes de rosée. À gauche du soleil levant flamboyait un lac avec sa rouge écume, bordé de lentilles vertes comme des émeraudes.