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selon les lins, huit lackhs et demi, selon les autres, neuf lackhs de roupies[1]. Sir Hugh Wheeler n’avait pu en distraire qu’un lackh (250,000 francs), transporté presque furtivement dans la nouvelle enceinte retranchée.

Le 1er régiment d’infanterie (cipayes), invité à se soulever, hésitait encore. Le bruit de ce qui se passait à la trésorerie, arrivant jusque dans ses lignes, dissipa tous ses scrupules. Seulement, par un reste d’honneur militaire, au lieu de massacrer ses officiers, accourus pour le maintenir dans le devoir, il les somma, il les contraignit même, de se retirer dans le « retranchement, » leur déclarant qu’à partir de ce moment il ne se regardait plus comme tenu de leur obéir ; puis il partit pour se rendre à la trésorerie, brûlant et pillant au passage les bungalows dont l’apparence tentait la cupidité de ses hommes.

Sir Hugh Wheeler, en se plaçant à l’est de la ville et sur la route d’Allahabad, au lieu de se retrancher dans le magazine placé sur celle de Delhi, avait raisonné d’après ce qui s’était passé à Meerut. Les cipayes, selon lui, devaient, une fois en révolte, aller rejoindre le gros de l’insurrection et courir au-devant des récompenses que le monarque mogol décernait aux insurgés qui venaient se ranger sous son drapeau. Cette prévision du vieux général parut se vérifier. Lorsque le lendemain (6 juin) les deux autres régimens cipayes se décidèrent à suivre l’exemple de leurs camarades, ils ne firent du côté du « retranchement » qu’une démonstration insignifiante. Au premier boulet, on les vit se disperser, et, tournant la ville, se rendre du côté de Nawabgunge, c’est-à-dire du côté de la trésorerie et du magasin. Les artilleurs d’une batterie indigène (3rd Oudh horse battery), qu’on avait crus assez fidèles pour les lancer avec une compagnie anglaise à la poursuite des rebelles, allèrent bientôt grossir les rangs de l’insurrection. À partir de ce moment, la station proprement dite ne comptait plus un insurgé. Si le général Wheeler avait été libre de ses mouvemens, et simplement à la tête de ses trois ou quatre cents hommes, rien ne s’opposait à ce qu’il prît la Toute d’Allahabad ; mais d’abord qu’y pouvait-il trouver ? La brusque cessation de l’arrivée des renforts lui disait assez clairement que la révolte sévissait aussi de ce côté. Comment d’ailleurs faire voyager sans chariots, sans éléphans, sans protection contre l’impitoyable soleil de l’Inde, toutes ces femmes, tous ces enfans, fragile et cher dépôt dont il devait compte à la patrie ?

Les révoltés cependant ne semblaient nourrir aucuns desseins hostiles. Leur butin chargé sur leurs charrettes et sur les bêtes de

  1. 2,125,000 dans la première hypothèse, et, dans la seconde, 2,250,000 fr.