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équitables tout ce qui est nécessaire à la nourriture et au vêtement. Quelques habitans de la cité sont des musiciens passables. La musique des ouvriers remplace l’orgue à la messe, ce qui ne l’empêche pas de servir d’orchestre, une heure après, pour les bals en plein vent. Le restaurant est à des prix modérés ; le café est décent ; on ne s’y enivre pas, on n’y joue pas, on ne s’y querelle pas. La cité de Marcq n’a qu’un défaut, c’est d’appartenir au patron. Jamais on ne se passionnera pour une maison dont on n’est que locataire. On a beau faire un long bail, il y a une fascination dans ces mots : « ma maison. » Partout en effet où l’on a pu vendre la maison aux ouvriers qui l’habitent, on a transformé la population. À Rouen, où les améliorations sont bien lentes, on commence pourtant à vendre des terrains aux ouvriers. Ces terrains, pierreux, incultes jusqu’ici, et qui ne peuvent être embellis et fertilisés qu’à force de patience, sont situés sur une colline qu’on appelle la Californie, et qui appartenait aux hospices. Pour certains terrains d’un rendement problématique, le travail opiniâtre d’un petit propriétaire vaut mieux que les millions d’un capitaliste. Les ouvriers qui se sont emparés de la Californie, et qui ont enfin l’espoir de reposer sous leur propre toit, n’ont plus d’autre pensée que de rendre leur coin de terre habitable et productif. Ils se transforment eux-mêmes plus vite que la terre qu’ils défrichent. Il existe à Reims une rue où demeurent des tisserands à bras, presque tous propriétaires de leur maison : c’est la rue Tournebonneau. La population de cette rue fait le plus frappant et le plus heureux contraste avec celle des autres quartiers habités par les ouvriers. À Sedan, où l’on ne connaît ni le lundi, ni les cabarets, où les ouvriers mènent en général une vie régulière, l’excellente conduite de la population est due à deux causes : la première, c’est que tous les ouvriers sont du terroir, nés à Sedan, d’habitans de Sedan, et la plupart travaillant de père en fils dans la même maison ; la seconde, c’est qu’ils ont au plus haut degré l’amour du jardinage. C’est une vraie passion chez eux. Il faut aux plus malheureux un jardin grand comme la main, qu’ils puisent soigner le dimanche avec amour, et auquel ils puissent rêver toute la semaine. Beaucoup d’entre eux ont acheté le leur, les autres ne sont que simples locataires. Le prix de la location varie de 5 à 15 francs par mois. Le dimanche, d’assez bonne heure, commence le départ général pour les jardins. Chaque père de famille s’avance, très proprement vêtu d’excellent drap (on est connaisseur à Sedan), et accompagné de sa femme et de tous ses enfans. Pendant toute la journée, on bêche, on plante, on sarcle. Il y a dans chaque jardin un petit berceau où se prend le repas. Le menu n’est pas brillant : de la salade, des œufs durs, des fruits dans la saison,