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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/140

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Le capitaine était accouru au bruit de cette voix désolée qui ameutait tout le monde sur le pont. — Madame, répondit-il, si votre mari a gagné la terre, comme il y a tout lieu de le croire, il n’est point resté au bord de la rivière à nous attendre ; si par malheur Il a disparu dans le courant, nous ne pourrions plus le retrouver vivant. Dans quelques heures, nous serons rendus à notre destination, et c’est de là que vous pourrez envoyer quelqu’un à la recherche de votre mari.

Doña Jacinta restait immobile, les yeux fixés sur l’homme qui lui parlait et paraissant ne rien comprendre à sa réponse. La douleur ne raisonne pas ; étourdie par le coup qui venait de la frapper, la femme du Cachupin se jeta aux pieds du capitaine, saisit ses mains et se prit à crier d’une voix déchirante : — Rendez-moi mon mari, monsieur le capitaine ; c’est vous qui êtes le maître ici ; au nom du ciel, rendez-moi Pepo !


V

Dans l’état d’anéantissement où se trouvait doña Jacinta, Hopwell ne pouvait la laisser seule. Malgré l’ardent désir qu’il avait de se mettre lui-même à la recherche du Cachupin, il dut confier cette mission à un créole du village, — aujourd’hui la ville des Nachitoches, — où le steamer venait d’arriver. Le créole partit sur une pirogue légère et descendit rapidement la Rivière-Rouge. Avant la nuit, il dépassait l’endroit où le Cachupin avait été précipité dans l’eau, et il découvrait bientôt, accrochée à une touffe de joncs, la mante de laine rayée de rouge. Recueillir cette dépouille et l’apporter à ceux qui l’avaient envoyé à la recherche du Cachupin parut au créole le meilleur parti à prendre. Ne pouvant revenir par eau aussi vite qu’il l’eût voulu, il laissa sa pirogue amarrée devant la première habitation qu’il rencontra. Là on lui prêta un cheval, et après avoir trotté toute la nuit, il se présenta dès le matin devant Hopwell. Doña Jacinta, qui guettait avec anxiété le retour du créole, poussa des sanglots à la vue de la mante tout imprégnée des eaux de la rivière.

Señora, lui dit Hopwell, rappelez-vous qu’on apporta à Jacob la tunique de Joseph teinte de sang et pourtant ce fils tant pleuré se retrouva un jour…

— Mon Dieu ! s’écria doña Jacinta en joignant les mains, vous seul savez quelles angoisses j’éprouve !… Monsieur Hopwell, je vous en conjure, dites-moi ce que je dois faire.

— Envoyer de nouveau à la recherche de don Pepo des gens intelligens et actifs, puis retourner au plus vite chez moi. La découverte de cette mante ne prouve rien.