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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/235

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tourment dans ces quelques lignes qui nous semblent exprimer beaucoup mieux sa véritable nature que toutes les plaintes mélancoliques qu’il est trop facile d’extraire de son journal. « Si l’on pouvait s’identifier au printemps, forcer cette pensée au point de croire aspirer en soi toute la vie, tout l’amour qui fermentent dans la nature ! Se sentir à la fois fleur, verdure, oiseau, chant, fraîcheur, élasticité, volupté, sérénité ! que serait-ce de moi ? Il y a des momens où, à force de se concentrer dans cette idée, on croit éprouver quelque chose comme cela. » Et il ne manque pas une occasion de poursuivre ce désir ; dès que la maladie se relâchant de la tyrannique surveillance qu’elle exerce sur lui, son âme trouve une porte par où s’enfuir, elle va chercher la chaleur et l’amour dans les flots de la lumière et de la vie extérieures.

« L’homme est l’enfant de l’air, dit le subtil Novalis dans une pensée passablement bizarre ; ses poumons sont ses racines. » C’étaient ces racines qui étaient minées, et qui, en suspendant chez Maurice le cours de la vie, le livraient en proie à la tristesse ; mais les mots de tristesse et de mélancolie rendent mal le sentiment pénible qu’expriment les lettres et surtout le journal de Maurice. Ce sentiment n’est pas la mélancolie, c’est l’inquiétude fébrile qui est propre aux phtisiques, leur agitation ardente et sans but. On peut suivre pour ainsi dire page à page les progrès de la triste maladie par la fréquence des alternatives de défaillance et d’espoir. Maurice est soumis à toutes les influences extérieures, et ses pensées varient avec l’état de l’atmosphère. J’extrais quelques-unes de ces plaintes arrachées au poète par l’action du mal physique.


« 19 mars 1833. — Ces huit mois se sont passés dans les plus rudes souffrances. J’ai peu écrit, parce que mes forces étaient à peu près anéanties. Si le mal eût laissé un peu de liberté à mon intelligence, j’aurais recueilli des observations très curieuses sur les souffrances morales ; mais j’étais étourdi par la douleur. Je crois que le printemps me fera grand bien. À mesure que le soleil monte et que la chaleur vitale se répand dans la nature, l’étreinte de la douleur perd de son énergie ; je sens ses nœuds qui se relâchent, et mon âme, longtemps serrée et presque étouffée, qui s’élargit et s’ouvre à proportion pour respirer.

« La journée d’aujourd’hui m’a enchanté. Le soleil s’est montré pour la première fois depuis bien longtemps dans toute sa beauté. Il a développé les boutons des feuilles et des fleurs, et réveillé dans mon sein mille douces pensées.

« 1er mai. — Dieu, que c’est triste ! du vent, de la pluie et du froidi Ce 1er mai me fait l’effet d’un jour de noces devenu jour de convoi. Hier au soir, c’était la lune, les étoiles, un azur, une limpidité, une clarté à vous mettre aux anges ; aujourd’hui je n’ai vu autre chose que les ondées courant dans l’air les unes sur les autres par grandes colonnes qu’un vent fou chasse à outrance devant lui. Je n’ai entendu autre chose que ce même vent gémissant tout autour de moi avec des gémissemens lamentables et sinistres