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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/255

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paru contradictoires. D’une part on a entrepris la guerre pour assurer l’indépendance de l’Italie, de l’autre on a déclaré que l’on ne voulait point ébranler le trône temporel du saint-père. Dès le début de la guerre, l’impossibilité de concilier ces deux prétentions a paru manifeste aux esprits pénétrans. On a vu du reste ce que les événemens ont fait de cette contradiction, comment ils l’ont chaque jour accusée davantage. L’Italie livrée à elle-même a entendu les conditions de son indépendance d’une façon diamétralement contraire aux données d’organisation politique qu’on lui avait théoriquement préparées. On avait rêvé une fédération italienne présidée par le pape ; l’Italie, pour être indépendante, a voulu être une, et s’est faite une. Laisser accomplir l’unité de l’Italie, adopter dans ce dessein et invoquer le principe de non-intervention, et vouloir en même temps perpétuer dans Rome l’autorité du pape par la seule force de nos baïonnettes, c’est, nous le répétons, professer en politique la doctrine de l’identité des contraires, c’est soutenir une antithèse à faire tressaillir de joie dans sa tombe ce grand penseur Hegel, dont l’un de nos collaborateurs, M. Edmond Scherer, exposait et jugeait ici tout récemment le système avec tant d’esprit et de vigueur. Cette antinomie subsiste encore cependant dans le dernier écrit de M. de La Guéronnière. L’histoire de nos relations diplomatiques avec le gouvernement romain, tracée par le conseiller d’état directeur de la presse, n’est qu’une longue récrimination contre la cour de Rome, une démonstration de l’incompatibilité de son existence avec les conditions de l’Italie nouvelle, et pourtant M, de La Guéronnière conclut à la prolongation de l’occupation de Rome par nos troupes. Il est vrai qu’une brochure du même écrivain, inspirée des mêmes sentimens contradictoires, a déjà fait perdre au pape la moitié de ses états, suivant le témoignage de lord John Russell, qui est bien placé pour établir en pareille matière le rapport des causes aux effets. Ce souvenir infirme peut-être l’autorité de la conclusion du conseiller d’état directeur. Nos doutes n’ont point été éclaircis par les projets d’adresse. Nous avons retrouvé dans celui du sénat surtout, plus imperturbable encore, si c’est possible, la grande et curieuse antithèse de la politique française en Italie : l’éloge de la politique de non-intervention et la confiance exprimée que le drapeau français continuera à couvrir la papauté, et que nous ne cesserons pas d’être la sentinelle la plus fidèle et la plus vigilante du trône pontifical. La commission du sénat semble croire qu’il est simple, naturel, facile de ne point intervenir en Italie et d’y défendre en même temps le pouvoir du pape à Rome avec une garnison de quinze mille hommes. Nous espérons qu’en discutant l’adresse, le sénat nous fera participer aux grâces politiques spéciales qui lui permettent de savourer avec une tranquillité parfaite une conviction si consolante.

Mais pourquoi affecterions-nous de nous préoccuper du langage des documens officiels ? Words, words, words ! comme dit Hamlet. Qu’importent maintenant les paroles ? L’antithèse est résolue par le fait qui est là devant