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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/332

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PHIDIAS.

Laisse faire Alcamène. Il regrettera de ne m’avoir pas écouté, lorsque ses œuvres seront établies à quarante pieds au-dessus de nos têtes. Le sculpteur obéit à des lois toutes différentes, lorsqu’il décore un monument ou lorsqu’il achève une œuvre qui sera vue de près. Ainsi l’ensemble de ton Thésée est excellent. Supposez-le sur le fronton, mes amis ; placez-vous ici, à gauche, et baissez-vous un peu, afin de le voir par-dessous. Remarquez combien l’effet se dispose, se rassemble et grandit. Le bras s’écarte pour laisser paraître les hanches et le profil des reins : lui-même forme avec l’épaule une masse imposante. La poitrine, par une légère flexion du torse, se présente dans sa largeur. Les jambes, au lieu de se réunir en une seule ligne, s’écartent et s’accompagnent par un mouvement harmonieux. Voilà un bon modèle, et nous devons tous nos éloges à Pæonios.

AGORACRITE.

Et mes Parques, maître, les ai-je réduites autant qu’il convient ?

PHIDIAS.

Quelle est maintenant l’épaisseur de ton groupe ?

AGORACRITE.

Deux pieds.

PHIDIAS.

C’est bien, car telle est la largeur de la plinthe du fronton.

AGORACRITE.

Mes statues sont singulièrement plates pour leur grandeur !

PHIDIAS.

Avant tout, il convient de se conformer aux exigences du monument. D’ailleurs on ne les verra que de face. Ne crains pas de faire rentrer encore la plus jeune Parque dans le corps de sa sœur, sur laquelle elle est couchée. Ici tu as un vide qui ne me plaît pas. Il est rond et incertain : fais-le plus carré, afin que l’ombre soit franche et que toutes les parties voisines se détachent mieux.

AGORACRITE.

La tunique sur les seins ne fait-elle pas des plis trop multipliés ?

PHIDIAS.

Non, parce que ces plis font sentir le nu et courent légèrement sur les formes.

AGORACRITE.

Dans la nature, une draperie pareille ne tiendrait jamais.

PHIDIAS.

J’y compte bien, car la nature ne doit nous offrir qu’un point de départ, et non pas un but. L’art qui la copie est un art servile. Passons aux bas-reliefs de la frise. Je vois, Praxias, que tu as attaqué le marbre.

PRAXIAS.

Oui, maître.

PHIDIAS.

Je te recommande surtout la saillie relative des plans. Que tes figures du premier plan s’appliquent sur celles du second comme une feuille de papyrus, car il faut que celles-ci s’enlèvent avec vigueur sur le fond.