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charges écrasantes. Bientôt beaucoup d’usufruitiers avaient préféré renoncer à leurs droits, afin de se soustraire à de tels fardeaux. La noblesse avait alors senti la nécessité de contraindre les paysans à rester sur leurs terres, et elle avait réussi à réduire en servage ceux des îles de Sélande, de Laaland, de Falster et de Möen. Dans ces circonstances, l’ancienne autonomie des communes rurales s’était affaiblie. Même dans les rares assemblées nationales que la noblesse daignait convoquer, la représentation des paysans était devenue illusoire et avait fini par disparaître à peu près complètement. Aussi, lors de la diète assemblée à Copenhague en 1660, il ne fut plus question de cette classe de la population. Après la révolution seulement, on appela quelques paysans de l’île voisine de la capitale, Amager, pour consentir au fait accompli. Sans autonomie communale, sans droit de propriété, sans éducation, réduite même dans quelques contrées à l’infime servage, la classe des paysans avait perdu, avec l’influence, tout intérêt aux choses publiques. Elle se plia sans résistance sous le joug de la monarchie administrative. Elle n’avait rien à perdre ; elle pouvait prévoir tout au contraire que la monarchie serait un jour inévitablement amenée à s’appuyer sur elle, au moins en partie, et en améliorant son sort.

Ainsi rien ne s’opposait au triomphe de la royauté absolue eu Danemark. C’était bien l’absolutisme en effet qui devait sortir finalement de la révolution de 1660, non pas que ce résultat dût apparaître tout d’abord, car la révolution n’avait fait en réalité que proclamer l’hérédité de la couronne et abolir la constitution : il avait été expressément entendu qu’une constitution nouvelle serait élaborée et ferait un partage plus égal du pouvoir politique entre les différentes classes de la société ; mais, par une suite de la désunion et de l’inexpérience générales, l’œuvre de la diète resta incomplète : elle se chargea seulement de détruire la constitution précédente, et s’en remit pour le reste à la royauté elle-même. Cinq ans plus tard (14 novembre 1665), le roi fit en effet élaborer la loi royale, qui établissait l’absolutisme le plus complet ; elle ne fut publiée, il est vrai, qu’en 1709, mais lorsque, depuis cinquante ans déjà, dans le silence même, la royauté s’était arrogé en réalité tous les pouvoirs. La monarchie administrative dirigea les destinées du Danemark jusqu’en 1834, date de l’introduction d’une représentation provinciale.

Si un tel changement s’était accompli, comme chez nous, à la suite d’une alliance intime entre une royauté nationale et une bourgeoisie intelligente au nom de l’égalité, la liberté aurait pu en souffrir, la puissance du pays et son individualité nationale s’en seraient du moins accrues. Malheureusement ici la royauté se faisait allemande, elle livrait à la fois le gouvernement et l’administration à des Allemands,