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propre femme la fille de Gildon, qui portait le nom romain de Salvina. Cette alliance impériale n’empêcha pas le Maure de rester neutre entre Théodpse et le tyran Eugène pendant la campagne de 394, ou plutôt de trahir le premier, en lui refusant, au moment de la lutte, les secours qu’il avait promis de fournir. La mort seule empêcha Théodose de punir cette perfidie.

Ainsi donc Gildon observait attentivement les discordes de l’empire romain, tout prêt à saisir l’occasion favorable pour se rendre, comme Firmus, indépendant et roi. L’incapacité des deux princes fils de Théodose et la rivalité de leurs ministres lui rendirent une espérance que la défaite d’Eugène avait renversée, et il attendait, quand les provocations d’Eutrope vinrent le chercher dans sa province et lui remirent les armes en main. Il écouta les propositions du ministre d’Arcadius, entra complaisamment dans ses plans, promit la réunion de l’Afrique à l’empire oriental, et la reconnaissance d’Arcadius comme légitime empereur : il ne refusa rien. Au fond, le petit-fils de Juba ne voulait pas plus d’un empereur que de l’autre, et ne se faisait sujet de Constantinople que pour n’être plus Romain. Son caractère était d’ailleurs empreint des passions sauvages de sa race : Gildon était avare, cruel, débauché jusqu’à la frénésie ; aucune femme, aucune fille n’était à l’abri de ses attentats, aucune richesse de ses rapines. Habile à composer des poisons soit avec le venin des serpens, soit avec le suc des plantes, il les administrait lui-même à ses ennemis, attirés par ruse à sa table, et il les voyait avec bonheur pâlir et expirer au milieu des éclats de la joie. L’hospitalité du barbare était redoutée comme un piège de mort. Lorsque, à l’invitation d’Eutrope, il se jeta sur Carthage pour y faire reconnaître Arcadius, cette belle cité, qui avait opposé quelque résistance, fut traitée sans miséricorde : le pillage, le viol, l’incendie, accompagnèrent la proclamation du fils aîné de Théodose. Les contemporains nous racontent que Gildon, dans un moment d’abominable gaieté, livra les plus nobles matrones de la ville à des Éthiopiens, afin de savoir de quelle couleur étaient les produits d’une telle union. Ce fut aussi avec une joie infernale qu’il mit la main sur les navires annonaires, déjà chargés de grains et prêts à mettre à la voile pour l’Italie : il affamait le peuple romain.

Le châtiment de Gildon devait sortir de sa famille même : Mascezel, un de ses frères, fut pour lui ce qu’il avait été pour Firmus. Ces deux petits-fils des rois maures faisaient entre eux le plus complet et le plus bizarre contraste. Mascezel était chrétien, Gildon païen, et tandis que celui-ci affichait le retour à l’antique barbarie indigène, celui-là se montrait romain d’habitudes et de cœur, aimait les arts, les lettres, et recherchait l’appui de l’église. Dès les premiers