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— Parle, j’écarterai le sinistre présage. —
Et l’enfant dit les fleurs, les menaces de mort,
Le prince de l’esclave empruntant le visage…

L’esclave rayonna : — Moi si près de ton cœur !
Je mourrais avec toi, pour toi ; mais il faut vivre,
Il faut t’épanouir sans crainte et sans langueur ;

Crois-en l’explosion du bonheur qui m’enivre,
Le destin contre toi n’a pas tant de rigueur.
Je ne veux consulter ni vieillard ni vieux livre.

Les spectres du sommeil, ces familiers démons,
Ne viennent pas toujours de la céleste sphère ;
Ils flottent indécis dans l’air où nous dormons.

Ils empruntent les voix que l’oreille préfère,
Et s’élancent des fleurs, des lieux que nous aimons.
Il faut chercher leurs nids dans l’humaine atmosphère !

Qu’avais-tu près de toi, ma belle, en t’endormant ?
Des roses. C’était l’heure où le parfum s’embrase,
Et de l’air énervé s’empare pleinement.

Le parfum transforma ton sommeil en extase,
Et sur tes yeux fermés un éblouissement
Versa la pourpre à flots qui débordait du vase.

Ta chambre était livrée aux roses, comme un sol
Où croissent les rosiers, et devant toi les roses
À leurs tendres secrets donnaient un libre vol ;

Elles ne disaient pas toutes ces vieilles choses :
L’amour du papillon, le chant du rossignol !
Les fleurs ont une histoire en leurs métamorphoses.

Un amant au tombeau porta le corps chéri
D’une fille de roi morte avant l’hyménée.
Dans ce lieu consacré ces roses ont fleuri !

Leur sève dans l’amour et. dans l’ivresse est née ;
Du cœur triste et brûlant leur parfum s’est nourri :
La morte vit encore, en leur pourpre incarnée.

La morte les inspire, et chaque jour ces fleurs
Sèment leur graine au vent, pleine de vie humaine,
De regrets embaumés, de riantes douleurs ;