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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/596

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qui a valu en partie à cet état de l’Union américaine ses merveilleux développemens. La Californie a su comprendre sa situation. La constitution si libérale qu’elle s’est donnée dès les premiers jours a franchement repoussé l’esclavage, et tout récemment encore la Californie apportait la majorité de ses votes au candidat républicain et abolitioniste Lincoln. Dans la période malheureuse que l’Union traverse à cette heure, au milieu des déchiremens qui semblent devoir séparer les états du nord des états du sud, la Californie reste fidèle à la bannière fédérale. Elle se montre également sourde aux avances des états à esclaves, qui espèrent vainement l’entraîner dans leur scission, et aux suggestions de quelques esprits rêveurs qui font rayonner à ses yeux le mirage trompeur d’une confédération du Pacifique, dont elle serait l’auguste souveraine. Le bon sens et l’esprit pratique des Californiens ont eu raison de tous ces rêves. Par quelle voie la Californie, séparée de l’Union, dirigerait-elle ses correspondances ? Qui subventionnerait sa grande ligne de steamers, sa malle overland, son service miraculeux du poney ? Qui paierait les frais et les études du chemin de fer inter-océanique ? qui en dirigerait et en surveillerait le tracé ? A qui la Californie demanderait-elle une armée disciplinée pour la défendre, des fortifications pour garder ses côtes, des phares pour les éclairer ? Un état isolé pourrait-il supporter tant de dépenses réunies, et sa position même ne le mettrait-elle pas en lutte ouverte avec les états limitrophes ?

Ce n’est pas d’ailleurs lorsque l’Union a retrouvé sur le Pacifique la même étendue de rivages qu’elle occupait sur l’Atlantique, qu’elle peut sérieusement songer à se dissoudre. Dût la Californie se porter elle-même comme médiatrice, il faut que l’œuvre de colonisation se continue dans l’Amérique du Nord. Voyez les résultats obtenus en si peu de temps : le mystérieux far west a disparu devant les Yankees, ils l’ont reporté jusqu’aux limites de l’Océan ; le go ahead américain a retenti de l’Atlantique au Pacifique, la civilisation a traversé le désert, et le moment n’est pas éloigné où les plaines sauvages de l’Amérique du Nord, que tant de romanciers ont décrites, n’existeront plus que dans leurs livres. Voyez la grande route inter-océanique qui s’anime et devient de jour en jour plus facile et plus rapide : c’est la route la plus directe de Paris à Canton. La Chine, ce berceau du globe vers lequel le monde européen semble tendre depuis les premiers jours de l’histoire, la Chine s’ouvre à son tour. Devant tant d’élémens si favorablement combinés, qui douterait de la brillante destinée qui attend San-Francisco, et ne peut-on dès ce jour, soulevant le voile, assurer à la reine du Pacifique le titre de reine du monde commercial ?


L. SIMONIN.