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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/644

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à peu près exclusivement utilitaires des colons anglais. Enfin, bien que ne se recrutant plus dans la mère-patrie depuis la cession du Canada à l’Angleterre, ces mêmes hommes, ces Celtes transplantés ont longtemps constitué la très grande majorité de la population, ils en forment encore plus du tiers, et se multiplient avec une rapidité bien remarquable. En 1763, à l’époque du fatal traité de Paris, on comptait au Canada 70,000 âmes ; en 1814, la population totale était de 335,000 âmes, dont 275,000 Français. Le recensement de 1851 accuse 1,842,265 Canadiens, dont 695,945 Français. Cette race avait donc à bien peu près quadruplé dans l’espace de cinquante et un ans, malgré les luttes qui suivirent la conquête, et presque décuplé en quatre-vingt-huit années. Certes les assertions de Knox ne pouvaient recevoir un démenti plus formel[1].

Sans aborder ici dans son ensemble la question fort complexe de l’acclimatation, il est pourtant impossible de ne pas en dire quelques mots en présence des argumens que les polygénistes ont cru pouvoir tirer de la difficulté qu’ont à prospérer dans certaines contrées les races étrangères au sol. Il est très vrai que le blanc d’Europe, transporté sous la ligne ou dans les régions intertropicales, languit et périt souvent sans laisser de postérité, ou que celle-ci s’éteint au bout d’un petit nombre de générations. Il est très vrai que le nègre d’Afrique émigré en Europe y meurt très souvent de phthisie. Il est encore vrai que, dans notre colonie de l’Algérie, la mortalité des adultes, celle des enfans surtout, est de beaucoup supérieure à celle qu’on observe dans la mère-patrie. À quel point de vue toutefois ces faits peuvent-ils être invoqués en faveur du polygénisme ? La race, nous l’avons vu, est avant tout un produit du milieu. Formée sous l’empire de certaines conditions d’existence et rencontrant brusquement des conditions d’existence nouvelles, est-il surprenant qu’elle souffre et succombe parfois dans la lutte qui s’établit entre l’organisme et le monde extérieur ? Bien au contraire, ce serait l’acclimatation immédiate dans de pareilles conditions qui serait inexplicable, d’après les idées que nous défendons !

Quoi qu’en aient dit Knox et les polygénistes qui, sous des formes plus ou moins adoucies, ont adopté ses idées, l’Européen prospère et se propage dans tout pays où ne se rencontrent pas des conditions en trop grand désaccord avec le sang qu’il a reçu de ses ancêtres.

  1. Le peuplement de l’Acadie présente un fait peut-être plus frappant encore. La très grande majorité des Acadiens, plus des trois quarts selon M. Rameau, descendent de 47 familles françaises comprenant 400 individus, d’après un recensement fait en 1671. En 1755, ce chiffre s’était élevé à 18,000. On sait qu’à cette époque la population fut dispersée violemment par les Anglais. 6,000 Acadiens furent exportés ; 1,500 se retirèrent au Canada ; 2,500 disparurent on ne sait où. Il ne devait donc en rester qu’environ 8,000. On en compte aujourd’hui 95,000. Ces chiffres ont été recueillis et communiqués à la Société d’anthropologie par M. Boudin dans un travail encore inédit.