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se placer à ce point de vue, qu’eût perdu Agassiz à se faire le soutien du plus pur monogénisme, si telles avaient été ses convictions ? Une place de professeur dans les états à esclaves ? Mais il en aurait bien vite retrouvé une autre dans quelqu’une des universités des états libres, et certes ceux-ci eussent été heureux d’accueillir et de dédommager le savant qui, par sa parole et ses écrits, a répandu dans tous les États-Unis le goût, la passion, pourrait-on dire, des sciences naturelles.

Il faut bien reconnaître cependant que, pour être accueillie avec transport par les polygénistes et repoussée parfois avec violence par les monogénistes, une doctrine qui reconnaît l’unité de l’espèce humaine doit renfermer au moins des obscurités et des contradictions. On y trouve en effet l’un et l’autre, et pour s’expliquer de semblables défauts dans une conception venant d’un homme d’une aussi grande valeur, il est nécessaire de remonter à ses travaux antérieurs. Là seulement on reconnaît qu’Agassiz ne s’est jamais rendu un compte exact de ce que sont l’espèce, la race, la variété. Ce naturaliste a commencé par où avait fini Cuvier, par la paléontologie, et dans celles de ses œuvres qui ont pour but l’étude des animaux vivans, on retrouve presque toujours quelque chose des premières impressions que lui ont laissées les animaux morts. Là est sans aucun doute la cause première de tout ce qu’on peut reprocher aux écrits anthropologiques d’Agassiz. Quelques mots serviront de preuve à cette observation générale.

En 1840, dans ses Principes de Zoologie, Agassiz parle de l’espèce comme étant « le dernier terme de classification auquel s’arrêtent les naturalistes. » Certainement pas un botaniste, pas un zoologiste ayant pratiqué l’espèce vivante n’acceptera cette définition. L’auteur prend ici reflet pour la cause ; l’espèce existait avant que les naturalistes se fussent arrêtés à elle. Le classificateur s’arrête quand il la rencontre ; il ne la fait pas. Des termes employés par Agassiz il résulterait au contraire que l’espèce n’est qu’une conséquence de la classification, un groupe de convention fondé uniquement sur de légères différences morphologiques. Nous retrouvons ici toutes les idées que nous avait présentées le Discours de M. d’Omalius d’Halloy, qui, lui aussi, a conclu en paléontologiste[1]. Dans ce même ouvrage, Agassiz regarde l’homme comme appartenant à la même espèce ; mais il admet en même temps des races distinguées les unes des autres par de légères différences primitives, se prononçant de plus en plus sous l’influence de la diversité de nourriture, de climat, de coutumes, etc.

  1. Dans d’autres passages de son livre, Agassiz relègue en quelque sorte l’idée d’espèce dans le domaine de la métaphysique, et rattache la constance des caractères transmis par la génération au principe immatériel dont tout animal est doué. Nous croyons inutile d’insister sur les objections graves que soulève cette question.