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joie l’autorité d’un prêtre ou d’une tradition : il ne connaît point ces questions redoutables qui se posent devant l’homme vraiment religieux, ces doutes terribles qui l’assiègent, ces luttes intérieures auxquelles succède un profond découragement ou parfois même le désespoir. Il repose tranquillement sa tête sur l’oreiller de la foi commune et s’adonne à quelques vaines cérémonies qui remplacent avantageusement les convictions. Que lui importe la valeur intrinsèque de ses croyances ? Une erreur à laquelle tout le monde ajoute foi lui semble beaucoup plus respectable qu’une vérité reconnue par un seul ; toute pensée individuelle qui diffère de l’opinion générale est un acte de rébellion flagrante. Le mormonisme, comme les autres religions basées sur l’autorité de la tradition, exige une soumission absolue des esprits. Les hommes que la paresse morale empêche d’interroger leur conscience, que des préjugés ou des habitudes d’enfance tiennent éloignés du catholicisme, peuvent donc trouver un refuge contre les doutes et la pensée dans la nouvelle église des mormons.

Toutes les relations des voyageurs confirment en effet que les saints du dernier jour sont loin d’être religieux dans le vrai sens du mot. Certainement on compte parmi eux quelques âmes tendres et naïves qui sont possédées d’un véritable amour du bien, qui chérissent les hommes sincèrement, et étudient avec un zèle ému les paroles inspirées des plaques de Néphi ; mais la plupart des mormons semblent être des gens grossiers qui veulent se décharger du soin de penser. N’ayant aucune conviction personnelle, ils croient sur parole, et peu à peu leur religion devient une habitude, une génuflexion, une pure forme. Mal vus sont les mormons qui réfléchissent et discutent sur les questions théologiques, la nature de Dieu, des anges, de l’âme humaine. Le savant Orson Pratt, qui a passé vingt années de sa vie à rédiger en corps de doctrine les opinions et les hallucinations des fondateurs du mormonisme, est considéré presque comme un apostat parce qu’il a pris sa religion au sérieux et s’en est fait le grand interprète. En revanche, ceux qui ne s’inquiètent nullement d’abstractions inutiles, ceux qui croient sans phrases sont les saints modèles. Le vrai mormon se contente d’obéir et de payer religieusement la dîme de son bien, de son revenu, de son travail.

Il n’est point inutile cependant d’étudier la doctrine des disciples de Joseph Smith, car elle est en parfaite harmonie avec leurs institutions et leur état social. Longtemps on a cru qu’elle n’offrait rien de nouveau, et que, sauf la restauration de la polygamie antique, elle ressemblait plus ou moins aux doctrines des innombrables sectes protestantes qui se partagent le monde religieux des États-Unis.