Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 32.djvu/991

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sécurité nécessaire à ses opérations ; mais il craint de prendre sous sa responsabilité cette mesure insolite. En attendant, la hausse à le temps de prendre des proportions désastreuses, et quand les chambres, pressées par l’évidence, se décident à prononcer la suspension au mois de janvier 1847, le mal était fait. En 1853, nouvelle disette. Le gouvernement, éclairé par l’expérience de 1847 et ayant d’ailleurs devant lui l’autorité d’un précédent, suspend l’échelle mobile dès le commencement de la crise, et grâce à cette précaution, grâce aussi, il faut bien le dire, à l’existence du chemin de fer de Marseille et au réseau général des chemins de fer, la disette est contenue dans de moindres limites qu’en 1847. Encouragé par ce succès, le gouvernement maintient la suspension jusqu’en 1859, où une démonstration du sénat le détermine à rentrer dans la loi ; mais au mois d’août 1860, une légère hausse s’étant déclarée, nouvelle suspension, qui dure encore.

Ainsi, sur les quatorze ans écoulés depuis 1846, la suspension de l’échelle mobile a duré huit ans, et l’application de la loi six ans seulement. Les divers gouvernemens qui se sont succédé depuis 1820 n’ont accepté qu’à contre-cœur l’échelle mobile, et ils se sont, tant qu’ils l’ont pu, dispensés de l’appliquer. N’est-ce pas là une forte présomption contre elle ?

C’est toujours la même coalition d’intérêts qui, retranchée dans le sein des chambres législatives, a tenu en échec les gouvernemens les plus éclairés sur cette question des céréales comme sur toutes les autres parties de notre régime douanier. Nous avons vu cependant la restauration et la monarchie de juillet livrer bataille tour à tour sur ce terrain et ne succomber qu’en partie. Le second de ces deux gouvernemens a même eu l’honneur de suspendre pour la première fois l’échelle mobile, et de conquérir pour cette condamnation implicite de la loi de 1832 l’assentiment de la majorité parlementaire qui l’avait imposée. Le gouvernement impérial a suivi la même voie avec plus de hardiesse ; il ne lui reste plus qu’à achever l’œuvre commune en obtenant l’adhésion du corps législatif à la liberté définitive du commerce des céréales tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Si puissant que soit ce gouvernement, nous douterions de son succès dans cette entreprise, si l’opinion du public agricole était aujourd’hui aussi arrêtée et aussi passionnée qu’autrefois ; mais des circonstances nouvelles ont heureusement modifié les esprits les plus prévenus, et au premier rang de ces faits récens et décisifs se trouvent le prix permanent des grains dans l’orient de l’Europe depuis dix ans, et surtout le développement inattendu qu’à pris l’exportation de nos blés pour l’Angleterre.

Dans tout ce qui s’est dit et écrit sur la législation des céréales