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de MM. Mason et Slidell n’ont plus alors, comme on l’avait redouté au premier moment, le caractère d’un acte prémédité de la politique américaine. Ce dessein absurde que l’on avait prêté à M. Lincoln ou à ses ministres de provoquer gratuitement l’Angleterre s’évanouit dès lors comme une vaine hypothèse. C’est dans ce sens que le vénérable général Scott a expliqué publiquement les paroles qui lui avaient été attribuées à tort. Les nouvelles postérieures d’Amérique ont confirmé de plus en plus l’assertion du général Scott. La presse américaine s’est montrée beaucoup moins violente qu’on ne l’avait supposé. Des journaux qui passent pour être les organes les plus directs du gouvernement de Washington ont discuté froidement la légalité de la capture des commissaires du sud, ont avoué qu’il serait impolitique de compliquer la situation présente des États-Unis d’une querelle avec l’Angleterre, et ont même eu l’air de vouloir préparer l’opinion à la réparation que pourrait demander l’Angleterre en prétendant avec une jactance un peu forcée que la restitution des commissaires saisis serait un triomphe pour M. Lincoln ! Mais l’on a eu, sur ce qui s’est passé au sein du gouvernement américain, des informations plus importantes. S’il est un homme dont l’opinion doive aujourd’hui peser d’un grand poids dans les conseils de ce gouvernement, cet homme est sans contredit le général Mac-Lellan ; ce général représente l’intérêt, l’esprit, les ressources et les chances de la guerre entreprise pour le maintien de l’union. L’on sait positivement que le général Mac-Lellan a déclaré à son gouvernement que, si par une fausse mesure on donnait à l’armée du sud le concours des flottes anglaises, que, si on appelait par une telle témérité les vaisseaux britanniques dans la Chesapeake, il lui serait impossible de demeurer dans sa position actuelle, où il serait menacé sur son flanc, où il serait exposé à voir couper sa base d’opérations, de telle sorte que la première conséquence de la guerre avec l’Angleterre serait d’obliger l’armée américaine à battre en retraite devant les troupes rebelles et à céder un terrain immense à la cause sécessioniste.

De tels avis, présentés par une autorité si compétente, ont dû être pris en sérieuse considération par le président, qui est connu d’ailleurs pour être peu disposé à suivre dans ses emportemens et ses témérités le membre le plus aventureux de son ministère, M. Seward. Un hardi conseil, et qu’il eût été d’une politique singulièrement habile de suivre sur-le-champ, a été donné, dit-on, au président : on lui a conseillé de mettre en liberté MM. Mason et Slidell sans attendre les réclamations anglaises. Tous les hommes politiques des États-Unis qui sont en Europe tombent au surplus d’accord sur la nécessité et la justice de la restitution des commissaires saisis à bord du Trent. Le général Scott, qui, malgré ses soixante-dix-sept années et ses infirmités, a quitté la France, où il arrivait à peine et où il venait chercher le repos, pour retourner en Amérique, rapportera à ses compatriotes les impressions de l’opinion européenne, et il est impossible que ses conseils n’empruntent pas une autorité touchante à la marque de dévouement qu’il