Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plutôt que d’en perdre la direction, le coup d’état d’une minorité contre la majorité, contre les lois, contre la constitution. Les ordonnances de sécession furent votées dans des formes et avec une rapidité qui indiquaient assez que les meneurs étaient résolus à étouffer les protestations des citoyens paisibles et honnêtes : elles furent promulguées par des conventions, et ne furent point soumises à la ratification directe du peuple des états. Le premier sentiment du nord fut la surprise ; il ne voulait point croire à la rupture de l’union ; il n’avait jamais pris au sérieux les menaces de séparation de ceux qu’on nommait les mangeurs de feu, M. Wigfall du Texas, M. Jefferson Davis du Mississipi, M. Benjamin de la Louisiane. M. Wigfall avait osé dire au congrès, en soutenant la candidature de M. Breckenridge : « Si un autre est élu, attendez-vous à des jours d’orage. Il pourra bien y avoir encore une autre confédération, mais elle ne comptera plus trente-trois états. » M. Seward répondait dédaigneusement à ces menaces. « Allez, disait-il à ses adversaires, des bancs du Saint-Laurent à ceux du Rio-Grande, des bords de l’Atlantique à ceux du Pacifique, du golfe du Mexique aux Montagnes-Rocheuses, parmi les pêcheurs de Terre-Neuve, les ouvriers du Massachusetts, les marchands de New-York, les mineurs de la Pensylvanie et de la Californie, les fermiers d’Indiana, les planteurs du Mississipi, les Indiens de la prairie, les mormons du désert, parmi les Africains libres et les Africains dans les chaînes, même parmi les criminels de nos prisons, allez leur répéter l’histoire de vos prétendus griefs et des leurs avec votre éloquence la plus pathétique, et dites-leur de se soulever ; ils vous répondront : Est-ce là tout ? Êtes-vous plus justes que Washington, plus sages que Hamilton, plus humains que Jefferson ? — Et cette simple interrogation vous condamnera à un honteux silence. » Hélas ! ces grands noms avaient perdu leur prestige, et les événemens donnèrent tort au confiant optimisme de M. Seward et du nord entier. L’administration nouvelle essaya de ramener les rebelles, on balbutia le mot de compromis ; mais le jour où le fort Sumter tomba sous le canon des rebelles, toute transaction devint impossible, et la guerre fut désormais le premier devoir du gouvernement.

Bien simples sont en vérité ceux qui se persuadent que le cabinet de Washington n’avait rien de mieux à faire que de reconnaître le gouvernement confédéré, sans essayer aucune résistance. Le président des états prête un serment solennel à la constitution, et il se fût rendu coupable de haute trahison aux yeux de ceux qui l’avaient nommé s’il n’eût tenté de défendre le pouvoir qu’ils lui avaient conié. Reconnaître la confédération du sud, c’était admettre le principe de la sécession, et par là même donner le coup de mort à la constitution. Une fois admis que chaque état a le droit de se séparer de