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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/196

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états, comme il lui fait la leçon ! « Ce n’est pas dans de vieilles chartes qu’il faut chercher les droits de la nation, c’est dans la raison : ses droits sont anciens comme le temps et sacrés comme la nature. » à la longue, cela devient insoutenable. Quand on tient la vérité, il ne faut pas lui faire l’injure de la déclamer ; quand on n’en tient que la moitié, il ne faut pas lui faire cet honneur. Il n’y a pas jusqu’au roi qui, dans la séance royale du II février 1790, ne félicite au nom de la raison les départemens substitués aux provinces !

Encore quelques années, et ce peuple élèvera des autels à cette déesse. Pour le moment, il a cent coudées, il touche aux nues, cherchant un nouveau monde, comme Christophe Colomb, sur la foi d’une idée, et cela, je vous prie bien de le remarquer, sans que l’idée nuise au reste. Si l’Europe n’est pas contente, vous verrez ces idéologues mettre pied à terre et s’expliquer avec les coalitions.

C’est là qu’est le gallicisme… La postérité le dira quelque jour : le grand courant de l’esprit humain a passé par la France. De Grèce et de Judée, le verbe est venu en ce pays, où l’attiraient les éclairs d’une langue et d’une épée incomparables : il s’est fait nation, drapeau, victoire, et l’on peut placer ici une des foudres de Bossuet : « Glaive du Seigneur, quel coup vous venez de frapper ! Toute la terre en est émue. »

Parmi ces idées triomphantes dont elle tient école, la France eut tout d’abord l’idée d’être libre : elle l’eut en 89, avant les orages, et quand elle avait encore la sérénité de son jugement. Qui donc a voulu nous persuader que pour toute passion politique nous avions celle de l’égalité ? Hérésie, sophisme d’antichambre ! On calomnie la France en la comprenant ainsi : ces interprètes ne voient pas plus haut qu’eux-mêmes. Là-dessus nous savons désormais à quoi nous en tenir : on y a regardé, on est remonté aux cahiers de 89, et l’on y a trouvé (dernier éclat, dernier service d’un penseur éminent) que la France tout entière, bourgeoise, sacerdotale, nobiliaire, avait donné mandat à ses députés de fonder le gouvernement représentatif. Non, sur l’âme et l’honneur de nos pères, il ne s’agissait pas seulement alors d’abaisser des privilèges, de dégrader des supériorités : ce que voulait la France, c’était de se constituer et de s’élever tout entière, de se niveler dans l’exaltation de tous, et non autrement. S’il faut un passé aux choses, une tradition aux idées, un précédent aux institutions, ce titre ne manque pas aux aspirations libérales de la France ; il est écrit dans le mandat unanime et impératif émané d’elle en 89. Que la France et la liberté soient faites l’une pour l’autre, c’est le jugement de tous à certaines heures clairvoyantes comme la mort ou l’adversité.

On a vu tel souverain revenir de l’île d’Elbe, telle dynastie rappelée