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nomade, pour se fixer enfin dans des champs ou dans des fabriques. Cet itinéraire du progrès est de pure fantaisie, et le progrès lui-même n’est pas, partout. Les nomades par exemple tiennent prodigieusement à leur manière d’être, et les Tartares, les Arabes, mènent encore la vie d’Abraham. Le degré inférieur à cette civilisation, la sauvagerie pure, est peut-être plus maniable, plus susceptible d’avancement. Quelques récits du moins le donneraient à croire.

Un voyageur croit avoir vu une armée de quarante mille Cafres sous un roi dont le bon plaisir est de se faire apporter tout vifs des éléphans sauvages par ses sujets vêtus et armés seulement de javelots. Voilà un peuple qui est arrivé à la phase d’obéissance, qui pourrait être Européen, continental, représenté. Ce peuple porte en lui un principe de cohésion et de centralisation. S’il existe, il me semble promis au plus bel avenir, et pourra incommoder les Anglais du Cap.

Classons encore comme incapables de représentation ces nomades dont nous parlions tout à l’heure, cette population errante des steppes, attachée à des troupeaux, une. civilisation où suffisent l’herbe et la famille patriarcale. Ce n’est pas que ces pasteurs aient l’aversion de tout gouvernement ; mais à cet égard leurs besoins sont bornés : ils en ont assez avec cette loi tartare, observée par un missionnaire, laquelle prépose chacun à la garde du voisin et rend chacun responsable du bétail volé. Quand on a l’espace, on a l’ordre et la paix. L’espace manque-t-il aux nomades, le pâturage trop étroit est-il disputé : ils ne s’en gouvernent pas plus. Il arrive seulement que les plus faibles émigrent comme une avalanche, se répandent, débordent sur l’Europe, sur l’Inde, sur la Chine, font en passant la fortune de quelque Attila, de quelque Gengiskan, et finissent, faute d’esprit (lequel ne se cultive guère à la suite des troupeaux), par s’assimiler à leurs vaincus, Latins, Hindous ou même simplement Chinois, qui ont l’avantage d’une éducation plus avancée.

Il est telle espèce de civilisés, supérieure aux nomades, qui ne se prête pas mieux au gouvernement représentatif : je veux parler de certains peuples orientaux, lesquels s’adonnent à la théocratie et-vivent de religion. Comme toutes choses au monde leur semblent réglées par un décret d’en haut, par une préordination divine, ils n’auraient garde d’y toucher. Pourquoi nommeraient-ils des représentai, des législateurs ? Leur loi est toute faite, c’est le dogme, et les prêtres sont leurs représentans tout trouvés.

En avons-nous fini avec ces exclusions, ces incapacités ? Pas encore : il nous reste à noter un cas éclatant entre tous, je dirais presque une supériorité. Il s’agit de ces fortes races qui ont la révolte