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corolle soit humide ; en vain vous chercheriez dans la nature qui vous entoure un souvenir de la France. Le coloris de l’Orient se reflète cependant sur ces pauvres plantes : ici le cardopatium étale ses touffes d’un bleu éclatant ; là des picnomons, avec leurs feuilles couvertes de longs piquans jaunes, semblent des plantes chargées d’aiguilles d’or ; des échinops portent au bout d’une longue tige une petite sphère bleue, et à leur pied des carlines tranchent par leurs pétales rouges avec la blancheur des rochers. Plusieurs de ces plantes sauvages sont utilisées. C’est de Chypre et de Jaffa que viennent toutes les petites pommes, nommées pommes de coloquinte, dont les Anglais font un si grand usage dans l’art vétérinaire. L’artichaut sauvage est abondant ; on le recherche, car il est plus tendre et plus savoureux que l’artichaut cultivé ; moins la grosseur, il lui ressemble exactement. Tous les voyageurs qui ont vu les pays du midi connaissent les cistes, ces plantes dont les charmantes fleurs roses et blanches simulent celles de l’églantier. Les cistes de Chypre sécrètent le ladanum, substance noire, pâteuse, qu’il ne faut pas confondre avec le laudanum, et qui est très en usage dans la pharmacie des Orientaux ; Pline raconte que le ladanum se colle à la barbe des boucs pendant qu’ils broutent, et que les bergers l’en détachent. Ce singulier moyen est employé encore aujourd’hui. On promène aussi sur les cistes de petits balais auxquels le ladanum s’attache. Le lentisque, d’ordinaire un modeste arbrisseau, prend à Chypre et à Chio un grand développement. On en extrait le mastic, sorte de résine presque inconnue à l’Occident, mais qui est en Orient d’un emploi journalier : les femmes se plaisent à le mâcher, tandis que leurs maris savourent la fumée du chibouque et du narghilé. La liqueur habituelle des Orientaux, le raki, est de l’eau-de-vie dans laquelle on a dissous du mastic ; il se précipite en blanc aussitôt qu’on verse de l’eau dans la liqueur. Ce petit phénomène charme les Orientaux, trop ignorans pour en connaître la cause.


IV

Il nous reste à parler de la faune de l’île, et ici une question se présente à notre esprit : d’où viennent ces animaux que les flots séparent du reste du monde ? Si tous les hommes qui couvrent la surface du globe eurent pour berceau commun les rives de l’Euphrate et du Tigre, il n’en fut pas de même des autres êtres vivans. Passez en revue le nord et le midi de l’Europe, le Nouveau-Monde, la Nouvelle-Hollande, Madagascar, l’Afrique ; chacune de ces contrées vous offrira les produits d’une création spéciale, vous y verrez s’épanouir des fleurs différentes ; d’autres animaux bondiront dans les plaines,