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tional le seul libéral de la péninsule, eut pris la direction du mouvement italien, tous les interprètes de la volonté nationale dans les autres régions de l’Italie n’ont-ils pas librement accepté l’hégémonie piémontaise ? Ce que l’on affecte d’appeler la politique ambitieuse de la maison de Savoie et du Piémont n’a été que l’expression et la conséquence du droit imprescriptible qu’avait l’Italie, dès que la fortune lui en offrirait l’occasion, de se délivrer du joug étranger. Est-ce que ce droit-là devait céder aux droits écrits des diverses maisons princières qui, sous la dépendance de l’Autriche, se partageaient l’Italie ? Mais les droits de ces maisons, que représentaient-ils, sinon la conquête elle-même, régularisée, il est vrai, par des traités qui avaient assurément une valeur au point de vue du droit international vis-à-vis des états étrangers, mais qui étaient sans vertu contre le droit des Italiens à se rendre indépendans ? Le point de droit ainsi fixé, le reste n’appartenait plus qu’au domaine de la prudence, ou a été décidé par la nécessité. Nous sommes étonnés que M. Guizot, qui a non-seulement apporté dans l’étude de l’histoire et de la politique des vues philosophiques élevées, mais qui a eu la main si longtemps dans les grandes affaires, que M. Guizot, qui a été ministre au lendemain d’une révolution et pendant onze années a si activement participé au gouvernement né de cette révolution, ait tenu si peu de compte du rôle que la force des choses a joué dans les incidens et dans la marche de la révolution italienne. M. Guizot a connu de près la force des choses ; il sait aussi bien qu’aucun homme d’état de ce temps qu’elle n’est point un vain mot. Il a pourtant l’air de croire que tout a été arbitraire, que rien n’a été nécessaire dans la révolution italienne. Il oublie donc que la paix de Villafranca a fait soudainement les unitaires les plus opiniâtres de ceux des chefs du mouvement qui eussent été les plus obstinés partisans d’une confédération ! Il oublie que la cession de Nice à la France a lancé sur Naples le mouvement italien dans la personne de l’un de ses chefs les plus entraînans, et qu’une fois Garibaldi entré à Naples, il était également impossible à M. de Cavour de l’y laisser dominer ou de l’y laisser écraser ! Chose non moins étrange, la révolution italienne, si l’on considère ses généreux mobiles et la culture d’esprit, les principes, les aspirations des hommes politiques qui en ont eu jusqu’à présent la direction, est une entreprise analogue à celle que tenta la France en 1830. Pourquoi faut-il que cette parenté manifeste soit si impolitiquement désavouée chez nous par ceux qui ont concouru avec le plus d’éclat à l’entreprise de 1830 ? Et comment se fait-il que ce soit à nous, qui n’avons été liés à cette entreprise qu’en subissant l’héritage de ses revers, de reconnaître la solidarité qui unit la cause du libéralisme français à celle de la révolution italienne ?

L’écrit de M. Albert de Broglie est-il plus pratique que celui de M. Guizot ? M. Albert de Broglie saisit bien le nœud de la question romaine. Nous sommes séparés de lui sur ce point par un profond dissentiment ; nous n’en