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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/258

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romance, s’est produit aussi pour la première fois dans le Neveu de Gulliver, où il représente le héros de la légende. M. Lefort a du goût, un physique convenable et une certaine habitude de la scène qui lui ont mérité un accueil favorable. Tout donne lieu d’espérer que M. Jules Lefort se fera remarquer avec avantage dans une carrière aussi difficile que celle de chanteur dramatique.

Parlons un peu du Théâtre-Italien, qui a inauguré la saison, le 1er octobre, par le chef-d’œuvre de Cimarosa : il Matrimonio segreto. Il a été chanté par le même personnel que l’année dernière, si ce n’est que M. Bélart a remplacé avantageusement M. Gardoni dans le rôle de Paolino. Après il Matrimonio, on a donné la Sonnanbula de Bellini et puis la Semiramide de Rossini avec un nouvel Assur qui se nomme M. Beneventano. M. Beneventano est grand, vigoureusement constitué, mais sa voix de baryton manque de timbre, de flexibilité et de jeunesse. On voit de reste que M. Beneventano a été élevé avec la musique de M. Verdi, et que cela ne lui a pas profité. Aussi a-t-il été fort empêtré dans le rôle de Figaro d’il Barbiere di Siviglia, qu’on a repris pour les beaux yeux de M. Mario. Il ne paraît pas que M. Beneventano puisse faire un long séjour sur le Théâtre-Italien de Paris. Un Ballo in maschera, de M. Verdi, qu’on a donné le 17 octobre, a été l’occasion d’un heureux événement. Un chanteur, un comédien, un véritable artiste nous est apparu dans la personne de M. delle Sedie, chargé du rôle de Renato. D’où vient M. delle Sedie ? De Berlin, et puis de Londres, où M. le directeur du Théâtre-Italien l’a entendu et engagé. M. delle Sedie, qui parait encore jeune, possède une voix de baryton médiocre, sourde, et parcourant à peine une octave. Malgré des moyens aussi faibles, M. delle Sedie chante avec un goût parfait ; il a de l’accent, de la sensibilité et de la tenue dans le style, ce qui est devenu extrêmement rare. Il a dit l’air du quatrième acte, o dolcezze perdute, avec un charme égal à celui qui ressortait de la magnifique voix de M. Graziani, qui ne serait qu’un écolier à côté de M. delle Sedie. Si M. delle Sedie tient dans les autres rôles de son répertoire tout ce qu’il semble promettre dans un Ballo in maschera, nous pourrons nous vanter de posséder à Paris un véritable chanteur, rara avis !

Nous terminerons ce court récit des faits accomplis par une bonne nouvelle l’Alceste de Gluck a été donnée à l’Opéra le 21 octobre, après un abandon de plus de trente ans. Cette œuvre célèbre, qui a presque un siècle d’existence (elle date de l’année 1776), a été accueillie par le public de nos jours avec un grand respect. Quelle est la valeur de cet opéra fameux, qui a été l’objet, au XVIIIe siècle, d’une si bruyante polémique ? Gluck a-t-il triomphé du temps par la puissance créatrice de son génie ou par la vertu des principes exclusifs dont il étaya la révolution qu’il a voulu opérer dans le drame lyrique ? Est-il bien vrai que l’auteur d’Alceste ait été un aussi grand novateur qu’on le dit, et que faut-il penser des changemens considérables qui sont survenus dans la musique dramatique depuis la mort de Gluck ? Nous essaierons prochainement de répondre à ces questions.


P. SCUDO.