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Il y a un costume des courses, et surtout un costume de Derby race, qui consiste pour les hommes en un paletot clair, un gilet et un pantalon de même couleur, des bottines vernies, un chapeau gris et un voile bleu. Ce voile est destiné à protéger la figure contre le nuage de poussière formidable que soulève le mouvement des roues, et qui s’étend en ligne ondoyante sur un espace de dix-sept ou dix-huit milles. Quelques-uns y ajoutent une courroie de cuir noir jetée sur les épaules, et qui supporte l’étui d’une vaste lorgnette à deux branches. La toilette des femmes se distingue principalement par la légèreté, les couleurs délicates, les étoffes de printemps, l’ombrelle, le chapeau de paille, et quelquefois par une sorte de toque connue, à cause de la forme sous le nom de pâté de porc, pork pie, et qui est généralement surmontée d’une plume. Les chevaux eux-mêmes ont un air de fête, décorés qu’ils sont de rubans, de cocardes et de fleurs. Plus on avance, et plus la route devient un spectacle. Des enfans, pieds nus, poursuivent les voitures en faisant des pirouettes pour obtenir un penny ; des bandes de musiciens noirs, plus ou moins bon teint, déchirent les oreilles délicates par des harmonies d’une joie sauvage, et comme l’Anglais mêle volontiers l’industrie au plaisir, utile dulci, des chars à bancs passent chargés de drapeaux avec des annonces. « Avez-vous vu Blondin, have you seen Blondin ? » me demandaient plus d’une fois sur la route ces voitures-affiches. En traversant Clapham et quelques autres charmans villages, les maisons élégantes qui s’alignent sur les deux côtés de la route nous présentèrent une autre scène intéressante. Les fenêtres des étages supérieurs, les balcons du drawing room (salon), les jardins égayés d’arbres et de fleurs qui s’étendent sur le devant des habitations, tout était rempli de femmes, d’enfans, de vieillards, qui suivaient d’un air de curiosité et peut-être d’envie la grande procession du Derby. De temps en temps des bannières nous saluaient, agitées par la main des jeunes filles. Ces saluts, ces regards, ces sourires de sympathie, sous lesquels se cachait un grain de malice, pouvaient se traduire ainsi : « Nous vous souhaitons toute sorte d’amusemens ; mais nous voudrions bien aller aussi à la fête. »

Vers la moitié du chemin, notre omnibus s’arrêta pour faire boire les chevaux. Dois-je ajouter que les hommes n’étaient pas moins altérés et témoignaient hautement le désir de balayer dans leur gosier sec la poussière du chemin avec un verre d’ale ? Un public house situé sur la route d’Epsom présente, le matin du Derby, une scène de confusion difficile à décrire. Le maître, les barmaids (filles de comptoir), les garçons ne savent à qui répondre. C’est à la fois un tumulte de voix qui demandent des rafraîchissemens, un cliquetis