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médiocrement. Les comptoirs de Rouen et de Lyon furent supprimés ; celui de Lille s’éteignit de lui-même. Cependant vers 1817, époque de renaissance pour le commerce, le besoin d’un crédit spécial et perfectionné se fit sentir dans plusieurs localités. Rouen, Nantes, Bordeaux sollicitèrent l’autorisation de fonder des banques avec privilège d’émettre des billets au porteur. Si les grands banquiers de Paris ne se mirent pas en travers, c’est que, sous l’impression de leur malheureuse expérience, ils ne supposaient pas qu’une banque de circulation eût chance de se soutenir dans une ville de province.

L’événement décida contre eux. Non-seulement les banques départementales créées avant 1820 vécurent et rendirent des services, mais après 1830 presque tous les centres commerciaux demandèrent à être pourvus d’établissemens analogues. Ce qu’on avait accordé à Nantes et à Bordeaux, pouvait-on le refuser à d’autres grandes villes ? Lyon, Marseille, Le Havre, Lille, Toulouse, Orléans, obtinrent successivement les autorisations nécessaires ; mais en même temps ce pouvoir occulte qui était souverain en matière de commerce trouva moyen de faire surgir les entraves réglementaires destinées à limiter l’expansion du crédit. Il fut décidé d’abord qu’avant de prononcer sur l’établissement d’une banque départementale, il fallait consulter sur son opportunité et son organisation le préfet et le receveur-général du département, la chambre et le tribunal de commerce de la ville, le ministère des finances, le ministère du commerce, le conseil d’état et enfin la Banque de France, juge et partie dans la cause. Vers la fin de 1837 intervint le ministre de la justice, qui déclara que toute autorisation devait être suspendue jusqu’à la discussion du projet de loi sur les sociétés par actions dont j’ai parlé précédemment. Du concours de ces autorités sortit une jurisprudence administrative dont l’effet devait être de rendre à peu près impossible l’établissement des banques de circulation ailleurs que dans les grandes cités déjà privilégiées. Une espèce d’odyssée poursuivie pendant deux ans par M. d’Esterno dans l’intérêt des villes secondaires a conservé un intérêt historique[1]. En 1840, la Banque de France parvint à faire transporter la question sur le terrain parlementaire, où elle était sûre de rencontrer des auxiliaires tout-puissans. Son privilège, accordé pour quarante ans en 1803, avait encore trois ans à subsister : on introduisit néanmoins la loi destinée à en consacrer la prolongation, pour trancher du même coup la controverse au sujet des banques départementales.

  1. Voyez le piquant opuscule de M. d’Esterno, Des Banques départementales en France, 1838.