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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/434

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mais qui gâtaient tout avec leur métaphysique surannée. Nous avons mieux que cela aujourd’hui, nous avons des spécialistes, et certes, s’ils ne font pas de plus grandes découvertes, on ne pourra pas dire que c’est pour avoir trop aimé la métaphysique.

Parlons sérieusement : bien qu’il soit toujours pénible de contredire les gens parfaitement contens d’eux-mêmes, je dirai cependant qu’en fait de sciences comme en fait d’esthétique, je reste convaincu que c’est la recherche des principes, l’aspiration vers ce qu’il y a de plus mystérieux et de plus haut, qui est l’âme de toute recherche et le foyer secret où se préparent les grandes découvertes. Est-ce à dire maintenant que l’esthétique puisse jamais être une science comme la géométrie, une science organisée, ayant ses axiomes, ses définitions, ses méthodes et une suite chaque jour plus riche de théorèmes ? Assurément non. J’avouerai même que dès là qu’une science cesse d’avoir un objet circonscrit et déterminé, dès qu’elle entre en communication avec l’infini, elle ne peut avoir une marche régulière ni des procédés maniables à tous ; au lieu d’un développement continu, vous avez des aperçus soudains, des traits de génie, et surtout des systèmes. Que de systèmes sur l’essence du beau ! Socrate et Platon ont commencé le mouvement. Dans le premier Hippias, Platon démontre admirablement que le beau n’est pas l’agréable, ni l’avantage, ni le convenable ; mais qu’est-il en soi ? Hippias croit le savoir, bien qu’il l’ignore, et l’avantage que revendique Socrate, c’est de savoir qu’il ne le sait pas. La question revient dans le Phèdre et mieux encore dans le Banquet, où Platon nous fait monter tous les degrés de l’échelle du beau, les beaux corps, puis les belles âmes, puis les belles occupations et les belles sciences, jusqu’à ce qu’il-nous ait conduits à la source éternelle d’où s’épanche et où remonte toute beauté périssable : « Celui qui dans les mystères de l’amour s’est avancé jusqu’au point où nous sommes par une contemplation progressive et bien conduite, parvenu au dernier degré de l’initiation, verra tout à coup apparaître à ses regards une beauté merveilleuse, celle, ô Socrate ! qui est la fin de tous ses travaux précédens : beauté éternelle, non engendrée et non périssable, exempte de décadence comme d’accroissement… » Je n’achève pas cette description magnifique, qui est dans tous les souvenirs ; mais examinez-la de près, vous n’y trouverez que des caractères négatifs : la beauté parfaite est immatérielle, immuable, impérissable, invisible. C’est une pure essence, une idée, peut-être l’idée suprême ; mais encore quelle est cette idée ? Impossible de le dire ; sa sublimité même la rend incapable d’être définie ; elle est au-delà, au-dessus de toute détermination et de toute qualification. C’est là que Platon avait laissé le problème, car la formule célèbre : le beau est la splendeur du bien,