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leur territoire baigné par la mer semblent avoir compris la puissance que mettrait entre leurs mains la possession de quelques-uns de ces terribles engins de destruction, et celles qui au temps des navires à voiles n’avaient que quelques faibles avisos font aujourd’hui construire des frégates blindées de grande dimension.

L’Autriche se distingue surtout par l’énergie de ses efforts pour se créer une marine nouvelle. Un écrivain des plus compétens a décrit dans la Revue les ressources navales qu’elle avait déjà en 1856[1] ; nous allons énumérer les progrès qu’elle a faits depuis cette époque, et le lecteur verra qu’ils sont considérables.

En 1848, la flotte autrichienne s’était dissoute, la plus grande partie du matériel resta dans les mains du gouvernement impérial ; mais tout le personnel et un certain nombre de navires légers passèrent au service de la république de Venise. Cette flotte d’ailleurs n’avait d’autrichien que le nom, les officiers et les équipages étaient italiens, et c’était dans leur langue que se faisaient les commandemens et qu’étaient écrits les documens officiels. Les ingénieurs de construction navale firent aussi défection : à la paix, en 1849, après la chute de Venise, aucun d’eux ne rentra ; ils passèrent tous au service du Piémont. Ainsi, lorsque le gouvernement autrichien reconstitua sa flotte, il avait tout à créer ; il lui a fallu une grande persévérance et une singulière énergie pour arriver au résultat qu’il a obtenu. Instruit par l’expérience, il ne voulut plus laisser dans les mains d’une fraction hostile de ses sujets un instrument puissant qui venait de lui montrer sa valeur en se retournant contre lui, car c’était aux marins de la flotte qu’était due en partie cette longue défense de Venise qui attira à cette malheureuse cité les sympathies de l’Europe.

La langue allemande officielle en Autriche devint celle de la marine nouvelle. L’école des cadets de Venise fut transportée à Trieste ; considérablement agrandie, elle dut recevoir quatre-vingts élèves, auxquels d’habiles professeurs enseignèrent en allemand les sciences maritimes. Pendant la guerre, pour armer ce qui était resté de l’ancienne flotte, on avait fait appel aux officiers du Lloyd autrichien et aux capitaines du commerce : on accepta les services d’ingénieurs danois, suédois, hollandais, qui, tout en construisant la nouvelle flotte, formèrent un certain nombre de disciples. On acheta deux bateaux à roues au Lloyd, et deux corvettes de 300 chevaux furent construites sur les chantiers particuliers de Trieste. En 1851, on mit sur chantier à Venise la grande frégate à voile Schwarzenberg ; la frégate de 31 canons Radetzky, premier navire à hélice de la marine autrichienne, fut commandée en Angleterre. En 1854, on construisit à Trieste les frégates Donau et Adria, et durant les années suivantes, à Venise, les corvettes Erzherzog-Friedrich et Dandola, puis les avisos à hélice Moeve, Kerka, Narenta, les navires à roues Curtatone, Prinz-Eugen, et la goélette Scrida. En 1857, le vaisseau à hélice Kaiser, de 91 canons, fut construit à Pola. Au printemps de 1860, six canonnières de 90 chevaux et de 4 canons

  1. La Marine de l’Autriche, Calamota, Trieste, Pola, par M. J.-J. Baude, Revue du 15 novembre 1856.