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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/536

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aux facultés et un but à la vie, provoque les associations, les fondations, les prédications, et, rencontrant des nerfs et des âmes plus endurcies, les lance, sans trop les faire souffrir, dans les longues luttes, à travers le ridicule et le danger. Le naturel réfléchi a donné la règle morale, le naturel batailleur donne la force morale. L’intelligence ainsi dirigée est plus propre que toute autre à comprendre le devoir ; la volonté ainsi armée, est plus capable que toute autre d’exécuter le devoir. C’est là la faculté fondamentale qu’on retrouve dans toutes les parties de la vie publique, enfouie, mais présente, comme une de ces roches primitives et profondes qui, prolongées au loin dans la campagne, donnent à tous les accidens du sol leur assiette et leur soutien.



III

Au protestantisme d’abord, et c’est par cette structure d’esprit que l’Anglais est religieux. Traversez d’abord l’écorce rugueuse et déplaisante. Voltaire en rit, il s’amuse des criailleries des prédicans et du rigorisme des fidèles. « Point d’opéra, point de comédie, point de concert à Londres le dimanche ; les cartes même y sont si expressément défendues, qu’il n’y a que les personnes de qualité et ce qu’on appelle les honnêtes gens qui jouent ce jour-là. » Il s’égaie aux dépens des anglicans, « si attentifs à recevoir ces dîmes, » des presbytériens, « qui ont l’air fâché et prêchent du nez, » des quakers, « qui vont dans leurs églises attendre l’inspiration de Dieu le chapeau sur la tête. » Mais n’y a-t-il rien à remarquer que ces dehors ? Et croyez-vous connaître une religion, parce que vous connaissez des particularités de formulaire et de surplis ? Il y a une foi commune sous toutes ces différences de sectes ; quelle que soit la forme du protestantisme, son objet et son effet sont la culture du sens moral ; c’est par là qu’il est ici populaire ; principes et dogmes, tout l’approprie aux instincts de la nation. Le sentiment d’où tout part chez le réformé est l’inquiétude de la conscience ; il se représente la justice parfaite, et sent que sa justice, telle quelle, ne subsistera point devant celle-là. Il pense au jugement final, et se dit qu’il y sera condamné. Il se trouble et se prosterne ; il implore de Dieu le pardon de ses fautes et le renouvellement de son cœur. Il voit que, ni par ses désirs, ni par ses actions, ni par aucune cérémonie, ni par aucune institution, ni par lui-même, ni par aucune créature, il ne peut ni mériter l’un ni obtenir l’autre. Il a recours au Christ, le médiateur unique ; il le supplie, il le sent présent, il se trouve par sa grâce justifié, élu, guéri, transformé, prédestiné. Ainsi entendue, la religion est une révolution morale ; ainsi simplifiée, la religion