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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/796

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toute sa splendeur, et songeait à s’y retirer, après vingt-cinq années d’un règne glorieux, lorsqu’il fut assassiné par le comte de Flandre.

Ce fut, plus tard un honneur fort prisé que d’être inhumé dans l’enceinte consacrée de Jumiéges, et les cercueils des chevaliers de Charles VII à qui la Normandie dut sa délivrance y furent réunis. Le roi était entré à Rouen depuis plus de trois mois, et préparait à Jumiéges même l’expulsion des Anglais des dernières places qu’ils occupaient dans la vallée de la Seine, lorsqu’Agnès Sorel vint inopinément le joindre au Mesnil-la-Belle, domaine qu’elle possédait dans la presqu’île, à une lieue de l’abbaye. Quel dessein si pressant l’émouvait ? Les chroniques du temps s’accordent à insinuer qu’elle accourait pour avertir, le roi d’un complot tramé contre sa vie au profit du dauphin :

Ici la belle Agnès, comme lors on disait,
Vint pour lui découvrir l’emprise qu’on faisait
Contre sa majesté… La trahison fut telle
Et tels les conjurés qu’encore ou nous les cèle [1] !


Peu de jours après, Agnès fut subitement prise de coliques, et mourut au Mesnil le 9 février 1449[2]. Le règne de Louis XI allait commencer.

Agnès n’avait pas à sa mort quarante ans révolus : elle était encore dans l’éclat de sa beauté ; placere simul et vivere desiit. « Entre les plus belles, dit Monstrelet qui l’avait vue, elle estoit la plus belle. » La beauté est une des puissances de ce monde ; celles qui lui durent une influence considérable sur les événemens de leur temps ont avec raison une place dans l’histoire, et cette place est rarement glorieuse. Agnès fut, il est vrai, l’une de ces pécheresses ; mais elle fit d’un amant vulgaire un grand roi, et de son abaissement personnel une arme pour la délivrance de son pays. Qui pourrait être sans merci pour des fautes accompagnées d’une telle expiation ? Qui sait si Agnès n’a pas souffert beaucoup pour l’accomplissement de sa mission, et qui a le droit de dire anathème sur l’instrument, peut-être sur la victime des desseins de la Providence ? La charité d’Agnès était inépuisable ; toutes les chroniques sont unanimes sur ce point. « Piteuse envers toutes gens, et qui largement donnoit de ses biens aux esglises et aux paovres, » elle

  1. Ces vers sont de Jean-Antoine de Baïf, ami de Ronsard, poète d’une singulière énergie. Ses œuvres ont été réunies en 1573 en un volume in-8o, aujourd’hui fort rare ; elles comprennent un petit poème sur la mort d’Agnès Sorel.
  2. L’année commençait alors le 1er avril, et s’il s’agissait de compter des anniversaires, le quatre-centième de la mort d’Agnès se placerait en 1850.