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À tant de motifs de sérieuses recherches, est-il permis d’ajouter le charme que présente aux yeux une terre où les beautés naturelles les plus opposées rapprochent leurs contrastes, où les hommes accusent des origines et des aptitudes si différentes, depuis les montagnards du Tyrol et de la Styrie, depuis le Ruthène de la Russie-Rouge, le Hongrois venu d’Asie, le Tzigane né sur les bords du Gange, jusqu’au Roumain fils des soldats de Trajan et à l’Uscoque de l’Adriatique ?

L’empire d’Autriche est occupé par quatre races principales, la race slave, la race allemande, la race magyare et la race gréco-latine : de là quatre nationalités distinctes ; mais ces races se subdivisent, et les races subdivisées prétendent elles-mêmes à l’autonomie. C’est ainsi que la question slave, si l’on peut ainsi parler, se compose de la question bohème, de la question polonaise, de la question croate et même de la question dalmate. Les Tchèques, les Polonais, les Croates et les Dalmates sont en effet descendus d’une souche commune. La race à laquelle ils appartiennent, la plus nombreuse de l’empire, compte plus de quinze millions d’individus, les Tchèques de Bohême, les Slaves de Moravie et de Hongrie, les Polonais et les Ruthènes de la Galicie, les Wendes de la Styrie, de la Carniole et de l’Istrie, les Croates, les Serbes de la Dalmatie, du banat de Temesvar et de l’Esclavonie ; mais quelles séparations la religion, la politique, la géographie même, n’ont-elles pas établies parmi ces familles, qui sortent d’un tronc commun ! Les Polonais et les Ruthènes, qui habitent la même province, sont séparés par des haines séculaires et des inimitiés religieuses. Entre le Slave de la Moravie, le Tchèque de la Bohême et le Serbe de la Croatie, il y a toute la longueur de la Hongrie magyare, toute l’antipathie du grec russe contre le catholique romain. Les Slaves, il est vrai, ont gardé au nord comme au sud le souvenir d’un passé meilleur : au nord, l’histoire du puissant royaume féodal de la Bohême, celle même du royaume de Moravie, vivent dans la mémoire des populations ; au sud, les Serbes se souviennent aussi du temps où les souverains de la Serbie avaient ; dès le Xe siècle, conquis l’Esclavonie, la Croatie et la Dalmatie. Sous le nom de slavo-illyrisme, on a donc rêvé l’établissement d’une ligue des Styriens, des Carniolais, des Croates, des Esclavons, des Dalmates en Autriche, des Bosniaques, des Serbes, des Monténégrins en Turquie, qui, joints aux Bohèmes et même aux Slaves du nord, réaliseraient l’union de toutes les races issues de la même souche. Il suffit néanmoins de se rappeler les différences de « langue et de religion qui existent entre elles, la distance géographique qui les sépare, et surtout la résistance qu’elles éprouveraient de la part des autres races auxquelles