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raison de la hauteur même des sommets où l’on est parvenu, quand les maîtres ayant tout exploré, tout parcouru, tout conquis, il n’y a plus un seul progrès à faire qui ne soit un excès, un seul pas qui n’aboutisse à une chute, on prétendra se cantonner dans un semblant d’activité, s’agiter sur place et faire Mme d’occuper ce terrain qu’il n’est plus possible d’agrandir. Louis Carrache et les siens essaieront alors de s’y installer. Ils demanderont aux efforts combinés, à l’association des volontés et des talens, à des expériences en commun ou à des règlemens académiques le moyen de se maintenir là où d’autres, armés seulement de leur propre force, étaient arrivés un à un : tentative stérile, moins encore parce qu’elle était tardive que parce qu’elle impliquait une atteinte aux principes essentiels, aux conditions vitales de l’art italien ! Une fois mis au régime des traditions, des théories, de l’érudition excessive en tout genre, les peintres ne furent plus que des beaux esprits dont le pinceau soutint des thèses et disserta sur ce que leurs devanciers avaient senti ; une fois condensé en recette d’école, l’idéal s’immobilisa dans cette atmosphère épaissie, dans ces esprits enivrés d’étude, dans ces œuvres sans sincérité. Partout le système étouffa l’émotion, et le pédantisme la vraie science. Ainsi, en prétendant réunir dans une entreprise commune les forces éparses de l’art italien, en cherchant à le restaurer par la discipline, on n’arriva qu’à en épuiser les ressources, à en énerver la vigueur. L’art italien, à vrai dire, prend fin avec l’académie bolonaise, avec cet essai d’organisation où l’on avait cru trouver un remède, et qui n’eut tout au plus contre la décadence que la faible vertu d’un palliatif. Ce qui dans un autre pays réussira bientôt à constituer l’école, à en assurer pour l’avenir la vie et les progrès, ne sert ici qu’à marquer l’heure de ses funérailles, et, comme si le contraste devait emprunter de la chronologie un surcroît d’éloquence, c’est presque au lendemain du jour où l’art en Italie achève de s’affaisser et succombe que naît en France, avec l’Académie royale de peinture, un régime d’émulation féconde, de développement régulier et d’encouragement pour tous les talens.


II

Lorsqu’on 1648, époque de la création de l’Académie, une distinction légale fut établie dans notre pays entre les artisans et les artistes, cette mesure, qui n’avait en apparence que le caractère d’un acte fort simple de justice, était en réalité une réponse ou une leçon à certains instincts plus secrets, à certaines dispositions plus particulières de l’esprit national. En France plus qu’ailleurs, l’art