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Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 36.djvu/931

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contre la rebelle. Par-dessus les éclats de sa voix, on entend les clameurs furieuses du fils, sorte de bouledogue sanguin et trop nourri, enfiévré de rapacité, de jeunesse, de fougue et d’autorité prématurée ; les cris aigres de la fille aînée, laideron grossière et rougeaude, inexorablement jalouse, haineuse, et qui, dédaignée par Lovelace, se venge de la beauté de sa sœur ; le grondement hargneux des deux oncles, vieux célibataires bornés, vulgaires, entêtés par principe de l’autorité masculine ; les instances douloureuses de la mère, de la tante, de la vieille bonne, pauvres esclaves timides, réduites, une par une, à devenir des instrumens de persécution. « Ils se sont liés les uns aux autres par un écrit signé, et engagés à pousser à bout leur entreprise en faveur de M. Solmes, et pour la défense de l’autorité du père. » A présent la chose est une affaire de politique et de guerre. « Puisque vous avez déployé vos talens et tâché d’ébranler tout le monde, sans être ébranlée vous-même, c’est à nous maintenant de nous tenir plus fermes et plus serrés ensemble. » Ils forment « une phalange rangée en bataille, » où chaque conviction alourdit les autres de tout son poids. Il ne s’agit plus ici de raisonnement ; leur volonté devient machinale. À force de se répéter entre eux la même idée, ils la fixent dans leur cervelle, et s’exaspèrent quand on essaie de la leur ôter. « Nous sommes sept et vous êtes seule : qui doit céder de toute la famille ou d’une seule personne ? » Elle offre toutes les soumissions. « Non, nous ne nous payons pas de respects. » Elle consent à abandonner son bien. « Non, nous ne voulons pas de transactions. » Elle propose de s’engager pour toujours au célibat. « Non, c’est le mariage avec Solmes que nous avons demandé, et c’est ce mariage qu’il nous faut. » Ils se sont butés à ce projet, Ils l’exécuteront. Les engagemens sont pris, c’est un point d’honneur.

Une fille, une jeune fille sans expérience, sans importance, résister à des hommes, à des vieillards, à des gens établis, considérés, à toute sa famille, cela est monstrueux ! et ils poussent en avant, en brutes qu’ils sont, aveuglément, serrant l’écrou de toutes leurs stupides mains réunies, ne voyant pas qu’à chaque tour ils rapprochent cette enfant de la folie, du déshonneur ou de la mort. Elle les supplie, elle les implore tous un à un avec toutes les raisons et toutes les prières ; elle s’ingénie à inventer des concessions, elle s’agenouille, elle s’évanouit, elle les fait pleurer. Rien n’y fait. L’indomptable volonté écrasante appesantit tous les jours sur elle sa masse qui croît. Il n’y a pas d’exemple d’une torture morale si variée, si incessante, si obstinée. Ils s’y aheurtent comme à une tâche et s’irritent de trouver qu’elle leur rende la tâche si longue. Ils refusent de la voir, ils lui défendent d’écrire, ils ont peur de ses larmes. Arabella surtout, avec la rancune venimeuse d’une femme laide offensée, raffine les insultes :