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dans ses occupations successives. Aujourd’hui que la marine française est devenue plus puissante qu’aux meilleurs temps de l’ancienne monarchie, l’étude de la politique maritime de l’Angleterre peut être d’un grand enseignement pour la France. La question tire d’ailleurs une importance nouvelle du percement de l’isthme de Suez et de la récente occupation par l’Angleterre de l’archipel de Dahlac sur les côtes d’Abyssinie. On sait aussi que très prochainement nos comptoirs de l’Inde et de l’Indo-Chine, ainsi que notre belle colonie de La Réunion, doivent être rattachés à la métropole par une ligne de bateaux à vapeur qui vont entrer en concurrence avec les lignes anglaises. Enfin il ne faut pas perdre de vue qu’une question désormais à l’ordre du jour pour la France, la question de Madagascar, se trouve intimement liée à toutes celles qui s’agitent ou sont près de s’agiter dans la Mer-Rouge et le golfe d’Aden.


I. — STEAMER-POINT ET LA VILLE ARABE D’ADEN.

Le voyageur parti de Bombay sur l’un de ces grands navires à vapeur, véritables villes flottantes que la compagnie anglaise péninsulaire et orientale promène à travers les mers, arrive au bout de peu de jours en vue des côtes d’Arabie. À peine la terre est-elle signalée, que du haut d’une montagne ardue un mât de pavillon s’agite, le drapeau de la fière Albion déroule au vent sa double croix, le canon répète ce salut, et les échos de la plage annoncent au pays musulman la venue d’un navire chrétien. Le rivage, que l’on effleure presque, offre à l’œil des passagers un aspect d’une étrange nature. Un rideau de hautes montagnes s’élève à pic ; sur leurs flancs déchiquetés et à pentes raides sont suspendus d’immenses blocs de rochers qui tombent parfois à la mer. Rien de régulier dans ces énormes masses vomies par le feu central du globe ; partout le chaos, un mélange de couleurs tranchantes ; partout des terrains calcinés, irrécusables témoins d’un immense incendie : on dirait le pays des villes maudites brûlé jadis par les feux du ciel.

Pendant que, surpris de cette vue, les voyageurs n’ont d’yeux que pour regarder la terre, les marins, tout entiers à la manœuvre, semblent prévenir les ordres du capitaine monté sur la passerelle. Le study sacramentel est répété sur le pont du lieutenant au timonier, tandis que le machiniste du bord, descendu vers ses chaudières, reçoit par signes mécaniques, sans l’aide du porte-voix, les instructions du commandant. À l’arrière, le second officier, debout sur les bastingages, suit attentivement la marche du navire, étudiant