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et les pourvoyeurs les plus actifs de la mort et de l’enfer. Dans la Vision de l’Enfer, il décrit une grande rixe qui s’élève entre les damnés, et, après enquête sur l’origine de la querelle, on s’aperçoit qu’elle a été suscitée par divers personnages qui représentent les vices bien connus de la médisance, de la hâblerie et de l’amour de la mystification. Ils sont assez puissans pour inquiéter Satan lui-même, qui échange une correspondance avec la Mort pour la prier de ne pas les lui envoyer, car il craint les séditions qu’ils peuvent semer dans son empire ; mais nul ne se plaint davantage de ces malfaisans trameurs de crimes qu’un certain personnage, vraiment original, que le ministre rencontre dans l’empire de la Mort. Les plaintes de ce personnage, qui s’appelle M. Somebody (M. Quelqu’un), nous paraissent si légitimes, si bien fondées, et sont exprimées d’une façon si amusante, que nous ne voulons pas en priver le lecteur.


« À ce moment, un petit spectre à tête grise qui avait entendu dire qu’un homme vivant était arrivé dans le sombre royaume se jeta à mes pieds en pleurant avec abondance. Cher ami, qui êtes-vous ? dis-je. — Un homme qui est grièvement outragé chaque jour dans le monde. Puisse Dieu émouvoir votre âme en ma faveur et lui conseiller de m’aider à obtenir justice ! — Quel est votre nom ? demandai-je. — Je m’appelle Quelqu’un, répondit-il, et il n’est pour ainsi dire pas une lâcheté, un mensonge, une calomnie, une bourde, capables de pousser les gens à s’entre-dévorer, qu’on ne mette sur mon compte. Vraiment, dit l’un, c’est une très-belle fille, elle faisait dernièrement votre éloge devant Quelqu’un malgré la cour assidue que lui fait un certain grand personnage. J’ai entendu Quelqu’un, dit un autre, calculer que cette propriété devait être grevée d’une hypothèque de neuf cents livres. J’ai vu Quelqu’un, dit un mendiant, en costume de marin ; il est entré dans le port voisin avec un vaisseau chargé de blé. Et c’est ainsi que chacun de ces méchans drôles m’assassine pour le compte de ses propres mauvais desseins. Il y en a qui m’appellent un ami : « j’ai été informé par un ami qu’un tel a l’intention de ne pas laisser un seul liard à sa femme, et qu’il n’y a entre eux aucune affection. » D’autres me rapetissent encore davantage et m’appellent oiseau : « un oiseau m’a dit à l’oreille qu’il y a ici de mauvaises menées qui vont leur train, disent-ils. » Il est vrai que plusieurs me donnent le nom plus respectable de vieille personne ; cependant il n’y a pas la moitié, des prédictions, des présages et des conseils attribués à la vieille personne qui m’appartiennent en réalité. Je n’ai jamais ordonné aux gens de suivre la vieille route, quand bien même la nouvelle serait meilleure, et autres sottises semblables. Mais, de tous ces noms-là, Quelqu’un est celui que je porte le plus ordinairement, et vous l’entendrez associé à toute sorte de choses criminelles. Demandez, toutes les fois qu’une fausseté calomnieuse a été proférée, d’où elle sort, et on vous répondra : Je ne sais pas très bien, mais Quelqu’un dans la société l’a dit. Et puis questionnez successivement chaque personne de ladite société,