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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/17

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délicate et scrupuleuse, le poète anonyme trouvait un certain soulagement à pouvoir se donner le témoignage de ne pas écrire en vue de la gloire, de ne pas sacrifier à un goût frivole, aux fantaisies de l’art pour l’art. L’auteur de l’Iridon et des Psaumes ne chanta jamais que la patrie ; il ne s’adressa qu’à la pensée morale, politique, nationale, religieuse de ses auditeurs, à « l’âme polonaise, » comme on dit dans le pays ; mais il cherchait encore un autre moyen pour alléger le poids de la responsabilité qui l’étouffait, moyen bizarre et pourtant aisé à comprendre pour quiconque connaît toutes les subtilités ingénieuses d’un cœur généreux et endolori. S’il publiait ses poèmes, cédant en quelque sorte à une voix impérieuse, il ne faisait rien cependant pour les propager, pour étendre le cercle de leur influence, pour augmenter ou multiplier les éditions ; bien au contraire, il s’ingéniait à en rétrécir le nombre, à en paralyser la diffusion : spectacle contradictoire d’un écrivain qui veut agir sur l’opinion et qui diminue en même temps à plaisir les moyens de cette action ! Il s’était formé à ce sujet une croyance presque fataliste qu’il laissa entrevoir, dans une circonstance curieuse. Son petit poème de Resurrecturis avait paru d’abord dans la Revue de Posen, recueil grave et estimable sans doute, mais que sa gravité même et de plus ses tendances très conservatrices, ainsi que le lieu de la publication, empêchaient d’être répandu. Un ami du poète retira cette œuvre du recueil et en fit faire à Paris une édition à quelques milliers d’exemplaires. Ce n’était pas un jeune étudiant de Lithuanie, enthousiaste et étourdi, qui avait eu l’idée de cette réimpression ; c’était un esprit grave, un vieux général, homme très réfléchi et pesant mûrement ses actions. Les plaintes du poète n’en furent pas moins d’une amertume extrême. « Mais les vérités salutaires contenues dans le Resurrecturis, lui disait-on, auraient été presque perdues pour la nation dans le recueil inabordable ? » — « Non, fut la réponse caractéristique. L’âme qui avait besoin de ces paroles les aurait trouvées aussi bien là qu’ailleurs : elle y aurait été guidée par le destin, par la fatalité ; pourquoi faire passer à la ronde une coupe d’amertume ? »

Et cette poésie, pour ne parler que d’elle, pour ne rien dire de l’immense correspondance que l’écrivain entretenait de tous côtés, dont il n’a paru que des extraits, et qui de longtemps sans doute ne pourra voir le jour, cette poésie, quelle est-elle ? On a souvent accusé la poésie polonaise en général, et surtout celle de l’auteur de l’Iridon, d’être trop obscure et symbolique, de parler en énigmes et dans un style allégorique, de manquer en un mot de cette sérénité et de cette transparence qui sont les premières conditions de l’art pur. L’art, pour être vrai et vivant, doit toujours