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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/196

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Pendant que l’industrie du coton se ralentit d’une manière si redoutable, et par cet arrêt momentané laisse tomber tant d’ouvriers dans la misère, d’autres industries, affectées par la même crise, sont aussi en souffrance, et leurs embarras contribuent largement à l’aggravation du paupérisme. Les rapports officiels de la douane anglaise, constatent, pour la première fois depuis longues années, une diminution considérable sur les exportations des draps, des soieries, des toiles, de la quincaillerie, des métaux, etc. Dans le mois de septembre 1861, cette diminution a même été de 18 pour 100, comparée à celle de septembre 1860. Ainsi la guerre d’Amérique ou plutôt l’esclavage, cette cause à laquelle l’Angleterre doit déjà de ne plus importer le coton de la Nouvelle-Orléans, empêche aussi de vendre les objets manufacturés aux consommateurs de New-York et de Boston. Si tant de filatures se ferment par suite du manque de matière première, un grand nombre d’autres fabriques menacent de se fermer également par suite de la pénurie des commandes, On comprend l’effet que cette stagnation du commerce et de l’industrie doit avoir sur le sort des travailleurs : la riche Angleterre, qui déjà compte une armée de pauvres bien plus nombreuse que la misérable Irlande[1], est obligée d’ouvrir plus largement les portes de ses workhouses, et bien des faméliques succombent ayant d’avoir pu en atteindre le seuil, car les miséricordes de la loi des pauvres sont cruelles, et les nécessiteux ne sont point accueillis par la charité des paroisses sans avoir surabondamment prouvé qu’ils sont dénués de toute ressource. Par une coïncidence fâcheuse, les objets de première nécessité, les céréales entre autres, se maintiennent à un prix élevé. Le pain est rare en Angleterre, tandis qu’en certains districts de l’Amérique du Nord on se servait naguère de maïs pour chauffer les locomotives ! Et si le gouvernement de la Grande-Bretagne devait croire nécessaire de venger par les armes l’honneur de son pavillon, la situation du peuple anglais deviendrait bien plus poignante encore. Le commerce avec l’Amérique, qui s’élevait jadis à plus d’un milliard et demi, serait supprimé tout à coup, les wagons chargés de céréales qui viennent du far west pour aider à l’alimentation de l’Angleterre s’arrêteraient dans les gares, les innombrables fabriques qui travaillent pour l’exportation américaine entreraient en chômage, et des millions d’ouvriers n’auraient d’autres

  1. Le nombre moyen des pauvres secourus est en Angleterre de 892,000, en Écosse de 121,000, en Irlande de 91,000, ce qui donne respectivement les proportions de 39, 40 et 15 habitans sur 1,000. Au 1er juillet 1861, le chiffre des nécessiteux admis au bénéfice de la loi des pauvres s’était accru de 33,000, et la proportion de cette foule indigente relativement, à la population totale s’était élevée à 43 sur 1,000. Or la crise qui sévit aujourd’hui avec tant d’intensité ne faisait guère que commencer à cette époque.