Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

propre compte. Toutefois la première effervescence avait peu à peu fait place à des sentimens plus calmes, et l’Angleterre ne fût probablement pas entrée dans la voie des hostilités, si le déplorable épisode du San-Jacinto n’avait point eu lieu. Les industriels anglais semblaient redouter de moins en moins l’issue de la crise. Peut-être même avaient-ils laissé succéder à trop d’effroi une trop grande tranquillité d’esprit, car ils cherchaient moins à s’ouvrir de nouveaux marchés d’approvisionnement qu’ils ne l’avaient fait d’abord, et semblaient persuadés que, par la réciprocité naturelle des demandes et des offres, le coton ne leur manquerait jamais. Les négocians de Calcutta et de Bombay se plaignent amèrement de s’être empressés, au premier cri de détresse poussé par Manchester, d’acquérir à tout prix, sur les plateaux de l’intérieur, des cotons qui sont restés longtemps dans leurs magasins sans qu’un seul acheteur anglais se présentât. À Mirzapour, ville située entre Allahabad et Bénarès, sur la grande artère commerciale de la présidence du Bengale, on a laissé pourrir cette année 50,000 balles de coton que les possesseurs offraient à vil prix, et qu’on eût pu transporter facilement à Calcutta par la voie du fleuve.

Le peu d’empressement manifesté par les industriels anglais pour se procurer le coton indien qu’on tenait à leur disposition provenait de plusieurs causes. D’abord ils croyaient fermement qu’en vertu de la hausse le coton américain, bien préférable au coton surate, ne manquerait pas d’affluer vers le marché de Liverpool ; en second lieu, ils n’osaient pas modifier leur outillage pour l’approprier à la manufacture de la fibre indienne sans avoir acquis la certitude complète de la nécessité de cette transformation, mais surtout ils se sentaient obligés, par la situation commerciale, de restreindre considérablement l’activité de leurs manufactures. En effet, tandis qu’une crise se préparait, amenée par la pénurie du coton, une autre crise en sens inverse, causée par le trop grand développement qu’on avait donné à la fabrication, devenait imminente. Depuis deux ans, les filatures avaient tellement exagéré leur production que les marchés étaient remplis ; la demande était à peu près nulle, et, d’après les lois ordinaires du commerce, l’avilissement du prix des cotonnades, la fermeture des usines, la faillite des industriels, la misère des ouvriers, semblaient inévitables. Tout à coup la guerre d’Amérique et la prévision d’une disette de coton qui en fut la conséquence immédiate changèrent les dispositions du marché ; les acheteurs de cotonnades anglaises, voulant s’approvisionner abondamment des marchandises menacées par une hausse future, n’interrompirent pas leurs commandes, et la crise de la baisse, qui avait semblé inévitable, fut heureusement conjurée. De leur côté, les fabricans