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artisans exploités par le vil capital ; bref, on leur offrait une alliance à vie et à mort contre l’ennemi commun. Un programme électoral, portant les signatures des chefs du parti féodal, vint illustrer ce magnifique projet d’une longue série d’antithèses. « Il s’agira de savoir, lisait-on dans ce manifeste, si nous aurons la royauté personnelle ou le régime parlementaire, l’armée fortifiée dans le sens monarchique ou découpée d’après les patrons constitutionnels, le mariage et l’état chrétiens ou l’égalité du christianisme et du judaïsme, la protection du travail honnête ou le règne exclusif du capital etc. » Le meeting qui eut lieu à Berlin était en tous points digne de ce programme. Douze cents personnes y assistèrent, aux trois quarts gentilshommes campagnards, le reste presque entièrement composé de pasteurs et de maîtres d’école ultra-protestans, auxquels il faut ajouter deux tapissiers, un tailleur et un bottier, qui étaient censés représenter les artisans. L’étranger qui fût entré à l’improviste dans la salle de réunion se serait cru plutôt au sein de quelque conférence piétiste que dans une assemblée politique. Le comte Stolberg ouvrit la séance au nom de la sainte Trinité, et récita une prière interrompue à plusieurs reprises par les amen de l’auditoire. Un pasteur, croyant s’adresser à ses ouailles, commença son discours par les mots : « Mes chères âmes. » M. Wagener, l’ancien rédacteur en chef de la Gazette de la Croix, prononça l’anathème contre « les jeunes littérateurs désœuvrés, » fauteurs des révolutions. M. de Blankenburg, autre chef des féodaux, souhaita la bienvenue au bottier en établissant un parallèle entre la botte de cuir et « la botte de l’état, » jeu de mots qui obtint les applaudissemens enthousiastes de l’assemblée. M. de Kleist-Retzow, ancien président de la province du Rhin révoqué par le comte Schwerin, gémit sur le malheureux sort de la Prusse, affligée d’un ministère libéral. Enfin on se jura fidélité réciproque, on chanta un cantique, et l’assemblée se sépara. Le lendemain, les feuilles de Berlin publièrent une protestation des associations d’artisans contre leurs prétendus représentans au meeting féodal.

On ignore si les efforts tentés par le parti féodal pour gagner des alliés ont été couronnés de plus de succès du côté du parti catholique. L’on a vu que la réaction politique en Prusse est liguée depuis longtemps avec les ultras de l’église protestante, qui à leur tour ont beaucoup de vues communes avec les ultras catholiques. À son avènement, dans son allocution au ministère, le roi Guillaume Ier caractérisait dans des termes très énergiques les tendances cléricales. « Dans les deux églises, dit-il, il faut s’opposer sérieusement à toutes les manœuvres qui tendent à faire de la religion le manteau d’une agitation politique. Dans l’église évangélique, nous ne saurions le nier, il s’est établi une orthodoxie incompatible