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adresse merveilleuse n’enlevait rien du reste à la franchise de ses inventions. La composition, plus spirituelle quelquefois par l’intention, n’en demeure pas moins profonde et incisive, sans rien de hâté ou de négligé. Il semblerait aussi qu’il fût plus soigneux, à mesure que ses dessins se répandaient davantage, de donner à sa pensée plus de clarté et plus de fini, pour la rendre plus accessible à la foule ; mais cette pensée se retrouve toujours à travers les variations de son exécution.

Charlet travaillait continuellement, moins pour augmenter ses minces ressources que pour céder au besoin impérieux de produire. Sa merveilleuse aptitude à inventer le rendait aussi plus difficile pour ses ouvrages. Il se dégoûtait souvent d’une œuvre commencée et se trompait même quelquefois sur la valeur de ce qu’il avait jeté sur la pierre ou sur le papier. Il lui arrivait de déchirer brusquement des dessins que les amateurs trouvaient admirables ; il les recommençait alors, mais sans se répéter. On a une foule de variantes de ses lithographies ; il est curieux de les suivre dans ces aspects différens de la même pensée. Ces remaniemens nombreux le sont devenus bien davantage quand il s’est mis à faire de la peinture. La pratique de la lithographie, où les retouches sont presque impossibles et enlèvent toujours au dessin une partie de sa fraîcheur, le portait, quand il était mécontent, à recommencer son dessin sur une pierre différente. Dans le tableau au contraire, où la toile plus complaisante se prête facilement aux repentirs du maître, Charlet arrivait plus difficilement encore à se satisfaire. Un tableau demande des préparations, des essais nombreux ; la nécessité de mettre d’accord l’ensemble de ses parties rend impossible tout ce qui paraît improvisation et premier jet. Dans le cadre restreint d’un dessin, la pensée de l’artiste, concentrée sur un petit nombre d’objets et par conséquent de difficultés, embrasse en quelque sorte le sujet et les moyens de le rendre avec plus de netteté. Il n’en est pas de même dans un tableau, où ces difficultés s’accroissent en raison de la dimension, où les exigences de l’effet et surtout de la couleur présentent à l’artiste une foule de problèmes nouveaux qui tiennent en échec la verve et la facilité de la main. Charlet ne s’était pas familiarisé de bonne heure avec ces difficultés toutes spéciales ; elles étonnèrent son génie, et s’il s’opiniâtra à continuer de peindre, ce fut sans doute par une secrète indignation de voir tant de médiocres peintres se trouver à l’aise au milieu de difficultés qu’il ne croyait jamais avoir suffisamment surmontées. Plus exigeant encore pour lui-même dans ses tableaux et peu confiant dans son inspiration ordinaire, il lui arriva souvent d’effacer d’admirables morceaux qu’il ne remplaçait pas toujours avec plus de bonheur. Cette marche