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de l’empereur Nicolas, adversaires par système, par tradition, de tout progrès véritable, et quelques personnages nouveaux qui ont la même ambition des faveurs impériales, la même crainte de tout mouvement, sans avoir la même foi en l’efficacité de l’ancien régime. Le vieux comte Adlerberg, favori de Nicolas, est encore tout-puissant à la cour d’Alexandre II comme ministre de la maison de l’empereur ; il est amplement pourvu de dignités et d’emplois, et n’est au fond qu’une tête peu sérieuse, soumise à des influences qu’on nomme à Pétersbourg. Le ministre des affaires étrangères, le prince Gortchakof, homme plus intelligent, a réussi un moment à couvrir d’une dignité apparente l’inaction forcée de la Russie, et surtout à propager l’idée d’un règne libéral sans trop y croire lui-même peut-être. Le ministre de la guerre, le général Souchozanet, est un soldat qui ne se pique pas d’instruction et qui a peu brillé dans son récent passage à Varsovie, où il a été un instant lieutenant, de l’empereur. Le ministre de la justice, le comte Panine, le plus haï de tous les ministres du temps de Nicolas, est au pouvoir une des têtes du parti réactionnaire ; il est par conviction ennemi de toute idée de réforme. Naguère il y avait au ministère de l’instruction publique un homme éclairé, M. Kovalevski, qui à travers certaines faiblesses laissait voir un esprit sensé et mesuré ; il a été remplacé par l’amiral Poutiatine, piétiste outré, dit-on, que sa vocation eût appelé à être métropolitain, et qui par sa dévotion a gagné les faveurs de l’impératrice. Le ministre des travaux publics, M. Tchevkine, passe pour être assez dépaysé dans l’ordre d’intérêts qu’il gouverne. Le directeur-général de la police, M. Patkul, s’est signalé principalement par une ordonnance qui interdisait aux cochers de fiacre de Pétersbourg de quitter leur siège pour aller s’asseoir dans leur voiture en attendant les voyageurs, sous le prétexte spécieux que cela ne convenait pas à des gens de basse condition, et que cela blessait la dignité des voyageurs eux-mêmes. Ainsi compose, le gouvernement russe n’a malheureusement ni programme préconçu ni suite dans l’action. Placé en face d’un travail des esprits tout libéral et d’une opposition croissante, il s’agite dans l’indécision, tantôt cherchant à arrêter le mouvement par des mesures empruntées au régime de l’empereur Nicolas, tantôt cédant sous la pression de l’opinion publique pour s’enhardir de nouveau et retirer les concessions qu’il a faites. Les ministres s’agitent les uns contre les autres, et chacun d’eux suit sa direction propre. De là des ordonnances contradictoires défendant aujourd’hui ce qui sera permis demain. À chaque soubresaut réactionnaire succède une désorganisation plus grande encore, au sein de laquelle s’affaiblit l’autorité du pouvoir et diminue la confiance de ceux-là mêmes qui sont au service du