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les Arabes, quand ils s’initièrent aux études philosophiques, trouvèrent établie dans le monde ancien, même à Alexandrie, l’autorité d’Aristote, qui avait prévalu peu à peu sur celle de Platon et absorbé en elle toute l’ancienne philosophie de la Grèce. La science se réduisait alors à commenter les écrits du Stagyrite. Les Arabes ne connurent guère Aristote que par les commentaires de Thémistius, de Philopon, de Simplicius, d’Alexandre d’Aphrodise, et ils ne furent eux-mêmes que des commentateurs. Ainsi se préparait par les Arabes, et bientôt par les Juifs, la domination presque absolue qu’Aristote a exercée sur l’éducation de la pensée moderne. Maïmonide est un des hommes qui ont le plus contribué à cette royauté de l’idée péripatéticienne. Aristote est pour lui le sage par excellence, le philosophe accompli, l’organe presque infaillible de la raison. Interpréter la Bible selon la raison, c’est donc l’interpréter au sens d’Aristote. À ce point de vue, le problème d’exégèse que Maïmonide s’était posé s’identifie avec celui qu’essayèrent de résoudre. un siècle plus tard tous les grands docteurs du christianisme, je veux dire la conciliation de la sagesse divine, représentée par la Bible, avec la sagesse humaine, incarnée dans Aristote. Maïmonide est le précurseur de saint Thomas d’Aquin, et le More Neboukhim annonce et prépare la Summa theologiœ.

La différence est grande toutefois dans les procédés. Au lieu de cette démarche solennelle du docteur angélique allant chercher ses prémisses au plus haut du ciel et de là descendant par degrés sur terre et déroulant la chaîne de ses conséquences, le philosophe de la synagogue, plus hardi au fond, mais discret et modeste en ses allures, commence humblement par des remarques de détail sur quelques versets de la Bible. Saint Thomas déploie et impose sa doctrine ; Maïmonide laisse deviner la sienne et doucement l’insinue.

Ouvrez la Bible. Vous trouverez aux premiers versets de la Genèse ces mots remarquables : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance. » (Genèse, I, 26.) Que signifie cette parole ? Prendrons-nous le mot image au sens littéral ? Évidemment c’est impossible. Se représenter Dieu par une image, c’est lui donner un corps, c’est l’humaniser. Dieu est l’acte pur de la pensée, l’invisible et immatérielle intelligence. Voilà ce que dit la raison, et il est écrit dans la Bible même : « Tu ne feras pas d’image de l’Éternel. » Aristote et Moïse sont ici d’accord. Que faut-il conclure de là ? Qu’il y a beaucoup de métaphores dans l’Écriture et beaucoup de mots qui ont un double sens. Le mot image (en hébreu celem) veut dire forme extérieure, mais il veut dire aussi forme spécifique. Il faut rejeter le premier sens et s’attacher au second. Au lieu de matérialiser Dieu, on se souviendra que Dieu, c’est la raison même, et