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les circonvolutions du cerveau, et de tout cela résulte une définition du prophète, une échelle des formes et des degrés de la prophétie, en un mot une de ces théories régulières et scientifiques’ comme les aime Aristote, comme les demande le Novum Organum.

Il faut trois conditions pour faire un prophète : d’abord une condition préliminaire, la droiture de l’âme et la pureté des mœurs ; puis deux conditions essentielles, la force de l’entendement et la force de l’imagination. Voici comment Maïmonide définit la prophétie : « Sache que la prophétie est une émanation de Dieu qui se répand par l’intermédiaire de l’Intelligence active sur la faculté imaginative ; c’est le plus haut degré de l’homme et le terme de la perfection à laquelle son espèce peut atteindre, et cet état est la plus haute perfection de la faculté imaginative[1]. »

Cette définition est toute rationaliste. La prophétie, au lieu d’être quelque chose de miraculeux, de surnaturel, est un fait naturel et régulier. De plus elle a sa source non dans une intervention directe de la volonté divine, mais dans l’opération naturelle et universelle de l’Intelligence active, foyer commun des intelligences.

Sa définition posée, le docteur juif s’attache à maintenir une sorte d’équilibre entre la raison et l’imagination, ces deux conditions essentielles de l’inspiration prophétique. Il fait remarquer que c’est sur la raison et non sur l’imagination du prophète que s’exerce directement l’influence de l’Intelligence active ; elle ne se répand sur l’imagination qu’après avoir traversé la raison. Alors le phénomène est complet. En même temps que l’imagination du prophète voit l’avenir, sa raison conçoit la nature des choses, et saisit par une intuition spontanée et immédiate ce que les hommes ordinaires ne peuvent concevoir qu’à l’aide de la réflexion et d’une longue suite de raisonnemens[2]. Otez l’une des deux conditions de la prophétie, le phénomène change de nature. L’inspiration divine s’arrête-t-elle à la raison, sans aller jusqu’à l’imagination : au lieu d’un prophète, vous avez un simple philosophe. Au contraire cette inspiration rencontre-t-elle une âme où l’imagination seule est forte, mais où la raison est faible : elle ne produit plus qu’un de ces hommes subalternes, à la fois dupes d’eux-mêmes et artisans de pieux mensonges, qu’on appelle des devins, des augures, des magiciens. C’est de là que sortent les faux prophètes. Le vrai prophète est donc un homme deux fois supérieur et deux fois inspiré de Dieu.

Il y a des degrés toutefois dans l’inspiration prophétique. Maïmonide

  1. Le Guide des Égarés, partie II, p. 281.
  2. Ibid., p. 298.