Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

essentiellement, le prophète, c’est une force d’imagination extraordinaire. Voilà pourquoi, dit-il, les prophètes ont toujours perçu et enseigné toutes choses par images et paraboles, et exprimé corporellement les choses spirituelles, tout cela convenant à merveille à la nature de l’imagination. « Ne nous étonnons plus que Michée nous représente Dieu assis, que Daniel nous le peigne comme un vieillard couvert de blancs vêtemens, Ézéchiel comme un feu, enfin que les personnes qui entouraient le Christ aient vu le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe, tandis qu’il apparut à Paul comme une grande flamme et aux apôtres comme des langues de feu[1]. »

Jusque-là parfait accord entre Spinoza et Maïmonide. Spinoza concède encore à son maître qu’une des conditions préalables de l’esprit de prophétie, c’est la pureté de l’âme et la piété[2] ; mais ce que Spinoza n’accorde pas, c’est que les prophètes aient uni à la force de l’imagination celle de l’entendement. L’Écriture dit le contraire, suivant lui, car des hommes grossiers, sans lettres, et même de simples femmes, comme Hagar, la servante d’Abraham, jouirent du don de prophétie. Et cela est parfaitement d’accord avec la raison, observe Spinoza avec un sérieux ironique. « Ce sont en effet les hommes qui ont l’imagination forte qui sont les moins propres aux fonctions de l’entendement pur, et réciproquement les hommes éminens par l’intelligence ont une puissance d’imagination plus tempérée, plus maîtresse d’elle-même, et ils ont soin de la tenir en bride, afin qu’elle ne se mêle pas avec les opérations de l’entendement[3]. »

Les prophètes étaient si peu des hommes d’un entendement supérieur que souvent ils ne comprenaient pas la révélation dont ils étaient les organes. Spinoza cite les prophéties de Zacharie qui furent tellement obscures, selon son propre récit, qu’il ne put les comprendre sans une explication. « Et Daniel, ajoute Spinoza avec un sourire presque voltairien sur les lèvres, Daniel, même avec une explication, fut incapable de comprendre les siennes[4]. »

De cette théorie du prophétisme, Spinoza déduit des conséquences : qui auraient épouvanté l’orthodoxie de Maïmonide : c’est d’abord que, l’inspiration divine et la force de l’imagination étant des dons communs à tous les temps et à tous les pays, l’esprit de prophétie n’a rien de propre à la nation juive. Des incirconcis, des gentils

  1. Traité tltéologico-politique, ch. II, p. 33 du tome II. — Comp. Guide des Égarés, partie IIe.
  2. Traité théologico-politique, p. 41. — Comp. Guide des Égarés, partie n° pag. 306 et suiv.
  3. Traité théologico-politique, t. II, p. 34.
  4. Ibid., p. 41.