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rendait brève il dit à Richard : — Qu’est-ce que tu veux, toi ? L’enfant ne se déconcerta pas et répondit : — Je veux être sculpteur.

— Tu n’es pas dégoûté, reprit le maître. Quel métier fais-tu ?

— Je suis garçon de magasin dans une librairie.

La femme éclata de rire. — Tais-toi, lui cria le sculpteur : il a beau être garçon de magasin, ça ne l’empêchera pas d’avoir du talent, s’il doit en avoir. J’ai tourné des cuvettes de montre, moi ! — Puis, conduisant Richard devant un médaillon de Vitellius :

— Ah ! tu veux être sculpteur, mon garçon, lui dit-il, eh bien ! copie-moi cela.

Richard prit de la terre, l’étala dans une assiette, et se mit à l’œuvre avec la ferveur qu’on peut imaginer.

Vers quatre heures du soir, Pradier, qui, sans cesser une minute de travailler, avait reçu vingt visites, expliqué cinquante sujets de monumens, de statues et de fontaines qu’il rêvait, exprimé ses regrets de n’avoir pas assez de temps pour faire de la peinture et composer un opéra, ri avec tout le monde, raconté des gaudrioles, grondé ses élèves, stimulé ses praticiens, Pradier, descendu de son marchepied, se lava les mains dans le seau placé près de sa maquette, et vint regarder l’ouvrage de Richard. Ce dernier tremblait ; jamais âme coupable comparaissant devant Minos n’eut pareille terreur. Alors entre le maître et l’élève s’établit le dialogue suivant, peu intelligible sans doute pour les personnes qui n’ont point fréquenté les ateliers : — C’est la première fois que tu manies l’ébauchoir ? — Oui, monsieur. — Sais-tu prendre de l’eau à une pompe ? — Oui, monsieur. — Sais-tu balayer un atelier ? — Oui, monsieur. Aimes-tu la Polymnie qui est au Louvre ? — Oui, monsieur. — Aimes-tu mieux être garçon d’atelier que garçon de magasin ? — Oui, monsieur, — Eh bien ! tu viendras travailler ici tant que tu voudras.

Richard, en balbutiant, demanda combien cela lui coûterait. — Si jamais tu me fais des questions saugrenues, reprit Pradier, tu auras des calottes. Ce que tu viens chercher ici, cela ne se vend pas, cela ne se donne pas non plus, cela s’attrape ; c’est ton affaire. Regarde, réfléchis, compare, étudie sans te lasser, et si un beau jour tu obtiens le grand prix de Rome, tu pendras ta couronne dans mon atelier, et nous serons quittes

Richard eut une de ces joies profondes qui, n’éclatent pas au dehors, et qui s’accumulent dans le cœur en oppression presque douloureuse. Il parla à son patron de ses projets nouveaux, et le prévint qu’il le quittait. Le libraire lui fit un long discours pour le détourner de sa résolution. « Tous les artistes sont des vauriens : c’est un métier qui mène droit à l’hôpital, à moins qu’on n’ait du talent,